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l’esprit de Rome et le vieil esprit germain de la famille. » M. Freytag va maintenant suivre l’évolution de la conscience confuse de la patrie allemande en Palestine, puis sur les bords de la Vistule, sur les bords du Rhin, en Saxe, en Silésie et enfin à Berlin, Il nous reste à l’accompagner dans cette longue pérégrination.


I

Les Chevaliers de l’ordre teutonique, tel est le titre du roman chevaleresque, dont l’action se passe au XIIIe siècle. M. Freytag s’est étudié à peindre l’Allemagne au temps des croisades, cédant à l’entraînement général des nations chrétiennes pour la délivrance du saint sépulcre, mais déjà se signalant par un esprit de résistance à l’hégémonie du pape. Elle tend à faire bande à part dans le catholicisme. L’ordre teutonique, rival de l’ordre des templiers, jettera les premiers fondemens du royaume de Prusse. — Ivo, le principal personnage de cette histoire, est un Ivanhoe allemand. M. Freytag a mis dans le nom même une vague ressemblance avec le héros de Walter Scott. Descendant du chef vandale Ingo, Ivo, habite en Thuringe Ingersleben, fief héréditaire qui relève nominalement du landgrave d’Erfurt. La Thuringe est le berceau poétique et symbolique de la famille des Ancêtres : c’est là, au cœur du pays, au foyer même des souvenirs historiques et des légendes les plus chères de l’Allemagne, que la plupart de ces romans s’ouvrent et se dénouent. Un chevalier sans peur et sans tache, une sainte du moyen âge, un moine inquisiteur, un paysan libre et frondeur, une duchesse et une villageoise amoureuses, voilà les personnages du drame. Le chevalier Ivo se distingue de ses voisins et de ses rivaux par son esprit de justice ; il ne pille ni ne vole, il a horreur du brigandage. Il est jeune, beau, bien fait, brave, adroit à tous les exercices du corps, excellent cavalier, vainqueur dans les tournois, tendre, galant pour les dames, et de plus poète, chantre d’amour, minnesinger, bien qu’il sache à peine lire ; bref, le troubadour accompli, avec une pointe de l’esprit humanitaire de notre temps, transposé en 1226.

On ne sera pas étonné d’apprendre qu’avec tant de rares qualités, Ivo soit secrètement aimé de trois femmes à la fois, de l’illustre et hautaine comtesse Hedwige de Hohenstaufen, propre nièce de l’empereur Frédéric II, d’une petite paysanne nommée Friderun, fille d’un juge de village, son amie d’enfance, enfin de la délicieuse comtesse Else, femme du landgrave de Thuringe Louis IV. Celle-ci éprouve pour le jeune chevalier un sentiment pur et voilé, tant elle a l’âme chaste et modeste ; car Else n’est autre que cette princesse de Thuringe plus connue sous le nom de sainte Elisabeth de