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et celle de tant d’autres de ses confrères, peut être suspectée ; mais sa sincérité est hors de cause : il croyait naïvement que les noms de ses protecteurs passeraient à la postérité avec les vers dans lesquels il les avait enchâssés.

Les artistes, de leur côté, s’efforçaient d’assouvir la soif d’immortalité dont leurs contemporains étaient possédés : un buste, un portrait peint ne suffisaient plus : on imagina d’introduire les hommes du XVe siècle parmi les acteurs des scènes de l’histoire biblique ou de l’histoire romaine. Dans la chapelle du Carmine, les Médicis prirent place parmi les témoins des miracles de saint Pierre et de saint Paul, — anachronisme bien excusable ; — au Campo Santo de Pise, ils servirent de modèles pour les figures des patriarches. Il faut remarquer qu’ici encore ce furent les champions de la renaissance qui, s’inspirant des traditions antiques, donnèrent à leurs héros les traits de contemporains célèbres. Les représentans des pieuses traditions du moyen âge, les fra Angelico et les Pérugin, auraient considéré comme une profanation d’introduire des vivans dans les compositions sacrées. L’antiquité pouvait mettre d’autres ressources encore au service des courtisans modernes : les inscriptions, que l’on commençait à rechercher avec ardeur, fournissaient les modèles les plus parfaits du style lapidaire. D’autre part, l’art du médailleur, retrouvé par le Pisanello, permit de répandre partout l’image des amateurs honorés de l’amitié d’un artiste. La glyptique et la gravure en monnaies firent le reste. Pour rivaliser avec les anciens, les souverains n’eurent plus qu’à se faire élever des statues de leur vivant, pratique que le moyen âge avait réprouvée comme un acte d’idolâtrie. Borso d’Este, le pape Paul II, et bien d’autres encore, ne s’en firent pas faute. En un mot, de quelque côté qu’on tournât les regards, l’empire des novateurs était solidement établi. L’opinion publique se faisait par eux ; ils représentaient le progrès sous toutes ses formes.


I

Dans ces circonstances, ce fut avec une indicible appréhension que l’Italie vit monter sur le trône pontifical le chef de l’un de ces ordres mendians, ennemis nés de la renaissance. François della Rovere, — c’est le nom que Sixte IV portait avant son exaltation, — n’avait certainement eu que peu d’occasions de s’occuper de belles-lettres ou de beaux-arts ; le rôle de mécène était celui auquel il paraissait le moins apte. Fils d’un pêcheur pauvre et ignorant, sa jeunesse souffreteuse s’était passée au milieu d’hallucinations de toute sorte, ardemment exploitées par les siens. Il n’était pas encore au monde que déjà sa mère crut voir en songe saint François d’Assise