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le programme que Philelphe s’était imposé à Florence et qu’il mit sans doute aussi en pratique à Rome ? Tous les jours quatre conférences ordinaires (sur les Tusculanes et sur une des productions oratoires de Cicéron, sur la première Décade de Tite-Live et sur l’Iliade) ; puis les conférences extraordinaires, qui comprenaient, outre l’explication des comédies de Térence, de certaines lettres de Cicéron, de la Politique de Xénophon et de la Guerre du Péloponèse de Thucydide, l’enseignement de la philosophie et des exercices pratiques. Si l’on ajoute à ce travail régulier, obligatoire, les innombrables productions poétiques et historiques de Philelphe, sa correspondance avec les savans de l’Europe entière, on se demande si les jours n’avaient pas alors plus de vingt-quatre heures.

L’accueil que le pape fit à Philelphe était de nature à augmenter encore la reconnaissance et l’enthousiasme du nouveau citoyen de Rome. Sixte ne souffrit pas qu’il s’agenouillât devant lui, ni même qu’il se découvrît : il le prit par la main et répondit à son discours dans les termes les plus flatteurs. Il lui assigna en outre une place des plus honorables dans les cérémonies pontificales : l’humaniste eut rang immédiatement après les ambassadeurs des puissances étrangères. Pour qui connaît le rôle que les questions d’étiquette et de préséance jouaient à la cour de Rome, il est facile de juger de l’émotion du monde officiel. C’était une révolution opérée en faveur de la littérature.

Les premières lettres de Philelphe forment une suite de dithyrambes en l’honneur du pape, de la papauté, de Rome, des Romains. Une surtout, parmi celles qui ont été publiées par Rosmini, mérite une mention particulière : c’est celle où Philelphe célèbre la liberté qui règne dans la Ville éternelle : incredibilis quœdam hic libertas est. Est-ce là une de ces hyperboles qui coûtaient si peu aux humanistes, ou bien Philelphe a-t-il, par exception, exprimé une idée vraie ? Une étude impartiale des faits prouve que le voisinage de la cour pontificale constituait réellement une sorte de garantie pour tous ceux qui tenaient une plume. On n’avait pas à y redouter le zèle maladroit, l’ignorance prétentieuse des tribunaux ecclésiastiques de la province, toujours à l’affût des hérésies, et si prompts à allumer le bûcher pour le moindre écart de parole ou de pensée. A l’époque même où s’organisait à Arras une persécution tristement célèbre, les humanistes agitaient librement dans la capitale du monde catholique des questions bien autrement dangereuses pour la foi. Il y a toujours avantage à se trouver en présence d’hommes d’esprit. Sixte en était un : il le prouva bien lorsqu’on lui rapporta que certain prédicateur l’avait attaqué en chaire avec la dernière violence. Ceux qui connaissaient son caractère s’attendaient à le voir éclater : il ne