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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/175

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fit que rire de cette preuve d’audace, que le coupable, quelques années plus tard, sous Alexandre VI, eût payée de sa tête.

Comme tant d’autres de ses compatriotes, Philelphe était un enthousiaste doublé d’un sceptique. On ne le vit que trop lorsque, dans l’excès de sa reconnaissance, il dédia à son bienfaiteur la traduction d’un ouvrage grec relatif à de prétendues fonctions religieuses que le Christ aurait exercées chez les Juifs : de Sacerdotio Domini Nostri Jesu Christi apud Judœos. Il avait, disait-il dans la lettre dédicatoire, profité des conférences qu’il faisait en ce moment pour entreprendre cette traduction. Mensonge insigne : le travail remontait à trente ans : il avait été dédié, en 1445, au béat Albert de Sarteano. Mais comme Philelphe ne l’avait jamais publié, il trouva ingénieux d’en tirer de nouveau parti pour obliger un protecteur. C’était payer sa dette sans bourse délier. La fourberie fut-elle découverte ? Toujours est-il que l’humaniste ne tarda pas à être payé en même monnaie. Nous touchons à un des épisodes les plus caractéristiques de la vie littéraire du XVe siècle. Philelphe avait pris possession de sa chaire dans les premiers jours de l’année 1475. Dès le mois de décembre suivant, la guerre avait éclaté entre lui et le trésorier pontifical, Miliaduce Cicada, qu’il traite de vil usurier, turpissimus fœnerator, et compare à Charybde engloutissant tout sans rien rendre. Le crime de Cicada était probablement de ne lui avoir pas payé assez vite ses appointemens. En 1476, nouvelles plaintes, plus vives : Cicada est un homme souillé de tous les crimes ; Philelphe le déclare dans une lettre qu’il charge un de ses amis de remettre au pape, en présence de tous les cardinaux. En 1477, la rage de Philelphe est arrivée à son paroxysme ; il dévoile à Sixte les méfaits de son trésorier, qu’il appelle menteur, coquin, et pis encore. « L’impie Miliaduce, dit-il, se gorge des trésors de l’église ; il s’abandonne aux excès les plus honteux ; il a corrompu la curie, etc. » Mais tous ces crimes n’étaient rien en comparaison de celui dont il s’était rendu coupable envers lui, Philelphe. Le pape avait donné ordre de verser à son professeur favori 200 ducats, qu’on lui devait ; Cicada ne lui en remit que la moitié, et encore étaient-ils tellement rognés qu’à Milan il fallut les céder avec une perte de 16 pour 100.

Le trésorier pontifical était-il si coupable en effet ? Plus que n’importe quel pape, Sixte avait à compter avec les difficultés pécuniaires. Ses constructions civiles et militaires, la constitution de patrimoines pour les membres de sa famille, ses guerres, absorbaient des sommes énormes. De temps en temps aussi, le pape cédait à un caprice coûteux : vers la fin de sa vie, par exemple, il dépensa 110,000 ducats, — environ 6 millions de