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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/189

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empruntés à l’antiquité, ils leur demeurèrent absolument interdits. Les papes étaient de trop bons latinistes pour ne pas se rappeler certains vers dans lesquels le poète nous montre l’âme plus frappée des images que l’œil lui transmet que des sons qui lui sont renvoyés par l’oreille. Passe encore pour des créations éphémères, un décor de théâtre, l’ornementation d’un char de carnaval ; elles disparaissent sans laisser de traces. Mais comment exposer en permanence, aux yeux des pèlerins accourus de toutes les parties de l’Europe, des souvenirs de l’antiquité classique, ou, ce qui revenait au même pour les âmes pieuses, de l’antiquité païenne ? La tentative eût été trop audacieuse. Sixte même, quoiqu’il ne connut guère le scrupule, recula.

Le contraste (on serait tenté de dire la contradiction) est frappant. On proscrit chez les artistes les tendances que l’on favorise chez les humanistes. D’un côté, l’invasion du monde païen, avec ses dieux, ses pompes, ses scandales ; de l’autre, une rigueur qui touche à l’ascétisme. D’un côté, d’innombrables traductions de poèmes grecs et latins, des ouvrages historiques et philologiques consacrés à la glorification du monde gréco-romain, des épopées composées en l’honneur de l’Olympe ; de l’autre, un art tout au service de l’église et qui cherche ses héros parmi les prophètes, les apôtres, les martyrs. On a beau objecter que la ferveur a diminué, que les scènes deviennent de plus en plus profanes ; on a beau découvrir, de loin en loin, un détail de costume, un ornement copié sur quelque bas-relief antique ; l’ensemble de la production artiste n’en tranche pas moins sur la production littéraire contemporaine ; et c’est uniquement à la glorification de la religion que les maîtres éminens recrutés par les souverains pontifes consacrent leur ciseau ou leur pinceau. Quelle différence, à ce point de vue, entre Florence et Rome ! Ici, toute une école condamnée à se mouvoir dans le champ étroit des représentations religieuses ; Là, un horizon ouvert à toutes les fantaisies : la beauté de Vénus, le courage d’Hercule, la vertu de Lucrèce, les hauts faits des ancêtres ; ce sont là autant de thèmes recommandés à la brillante phalange d’artistes groupés autour des Médicis.

Les sujets profanes, même choisis en dehors de l’antiquité, sont rares à Rome pendant la période dont nous nous occupons. Dans leurs relations politiques, les papes, — à commencer par Sixte, toujours en guerre avec ses voisins, — n’oublient jamais qu’ils sont des souverains temporels. Dans leurs rapports avec les artistes, ils ne se souviennent, par un excès de scrupule, que de leur mission apostolique. La fiction est-elle donc plus compromettante que la réalité ? Est-il plus criminel de faire éterniser par la peinture le