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souvenir d’une victoire que de prendre les armes et de forcer l’ennemi à combattre ? Les Florentins n’éprouvaient pas tant d’hésitations à appeler l’art au secours des passions politiques. Ils le prouvèrent bien à Sixte lors de la conjuration des Pazzi, où Julien de Médicis tomba sous les coups des émissaires du trop vindicatif pontife : non contens de pendre l’un des complices, l’archevêque de Pise, ils le firent peindre par Botticelli sur les murs du Palais-Vieux ; il fallut que le pape lui-même intervînt pour faire effacer cette peinture ignominieuse.

Cette pudeur en matière d’art dura à la cour de Rome jusqu’aux premières années du XVIe siècle. En dehors des Mystères d’Osiris et d’Isis, qu’Alexandre VI, par une inspiration bizarre, fit peindre dans l’appartement Borgia, à côté de légendes tirées du martyrologe, il serait difficile de citer une statue, une fresque, un tableau (les portraits naturellement exceptés), qui n’ait pas pour objet immédiat la glorification de la religion. Alors même que Jules II et Léon X demandèrent à Raphaël de célébrer leurs victoires, ils reculèrent devant la représentation trop directe des faits : c’est sous des allusions plus ou moins transparentes que l’artiste dut cacher l’Expulsion des Français d’Italie (Héliodore chassé du temple), la. Délivrance de Léon X, la Bataille d’Ostie, etc.

L’énumération des sculptures et des peintures commandées pendant le règne de Sixte IV permettra de vérifier cette loi jusque dans ses moindres détails. A la Sixtine, le pape fait peindre d’un côté l’Histoire de Moïse, de l’autre celle du Christ ; dans la chapelle de la Conception, à Saint-Pierre, le sujet indiqué à l’artiste chargé de la décoration, le Pérugin, est le Couronnement de la Vierge. Verrocchio exécute pour la même basilique les statues en argent des Apôtres. Les fresques de l’hospice de Santo Spirito témoignent de préoccupations non moins exclusives. Le récit des miracles qui signalèrent l’enfance du futur pape y occupe plusieurs compartimens. Parmi les actes du pontificat de Sixte, le peintre célèbre tout d’abord la fondation de l’hospice, puis la restauration des églises romaines. L’accueil fait aux différens souverains qui visitèrent les limina apostolorum, la canonisation de saint Bonaventure, la confirmation des privilèges des ordres mendians, forment le sujet d’autres tableaux. Une composition rappelle la victoire remportée sur les infidèles par le cardinal Olivier Caraffa. C’est la seule, pour ce règne si troublé, qui contienne une allusion aux exploits militaires de Sixte ; et encore est-elle consacrée à un souvenir de la croisade, de la guerre sainte. En un mot, si l’on jugeait Sixte d’après l’ensemble de ces fresques, qui sont au nombre de trente-neuf, on croirait que jamais pape n’a exercé plus saintement son ministère évangélique. Les fresques de