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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/214

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raisonnemens et ses déraisons. L’illustre voyageur est du petit nombre des hommes qui savent voir et qui savent dire ce qu’ils ont vu. Peut-être trouvera-t-on que son jugement sur les Arabes est fort sévère et que sa fâcheuse aventure avec les Suyas a corrompu son impartialité. Il faut dire cependant que c’est un sujet sur lequel il n’a jamais varié ; l’antipathie que lui inspirent les Sémites date de ses premiers voyages et des premières occasions qu’il a eues de mettre leur bonne foi à l’épreuve.

M. Rohlfs reproche à l’Arabe d’être un faux aristocrate, qui possède rarement les vertus de l’homme de race et de haut lignage, et qui en a les préjugés, les travers, l’arrogance, l’insondable orgueil, une indolente paresse dont il fait gloire, l’horreur et le mépris du travail, le goût de la pompe et de la parade. Ce faux aristocrate a des esclaves qui font tout pour lui, et, en dépit des négrophiles, à quelques moyens qu’on recoure pour abolir la traite, il trouvera toujours moyen de s’en procurer, car sans esclaves, la vie lui serait un supplice. Que deviendrait-il si on le condamnait à se servir de ses mains pour labourer la terre et de ses pieds pour marcher ? « Un cheik qui n’aurait pas un cheval, un chien courant, un parasol, un faucon et un long fusil surmonté d’une baïonnette rouillée ne serait pas complet aux yeux des gens de sa tribu. Ainsi cheminait fièrement à la tête de notre caravane le cheik des Suyas, vêtu d’un pantalon blanc qui n’avait jamais été lavé et d’une chemise sale. Par-dessus, il endossait un burnous de laine épaisse qu’il recouvrait, dans les grandes occasions, d’un autre burnous d’un rouge ardent, aux passemens d’or. Il allait rarement à pied, le cheik des Suyas, parce que c’était contraire au savoir-vivre ; mais sur un coussin de cuir, il portait en croupe son faucon ; de sa main gauche il tenait son parasol ouvert. Sur son dos pendait son long fusil, il avait passé à sa ceinture deux pistolets et un poignard, et derrière son cheval trottait son slugi. Fumeur passionné, il mendiait sans cesse du tabac pour ses cigarettes, et il devenait un mangeur prodigieux toutes les fois qu’il pouvait se gorger à nos dépens. »

À ses grands airs, à sa jactance, l’Arabe, ce prince ou ce marquis du Sahara, tel que le peint M. Rohlfs, joint tous les calculs, toute l’astuce, toute la coriacité d’un homme d’affaires âpre au gain, dur à la détente, aussi cupide qu’avaricieux. Dès qu’il s’agit d’ajouter quelques paras à sa tirelire, il est capable de toutes les manœuvres, de toutes les duplicités, et le mensonge est tellement devenu sa seconde nature qu’il ment souvent sans profit, par simple amour de l’art. Sur ses vices vient se greffer son fanatisme, qui les consacre, et il se persuade aisément que duper un chrétien est un des moyens les plus sûrs et, sans contredit, les plus commodes de gagner le paradis. M. Rohlfs estime que plus l’Arabe est religieux, plus il importe de se défier de lui. Il ne peut oublier que le perfide Sidi Agil, khouan très dévot de la