Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/223

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

seulement de signaler à nos rédacteurs de circulaires officielles ce surprenant exemple de liberté d’esprit.

C’est dans le touchant ouvrage consacré par Mme de Witt à la mémoire de son père que je trouve cette lettre adressée à sa mère, le 5 octobre 1821, après une représentation de la Gazza ladra : « La pièce elle-même, écrit M. Guizot, la pièce, toute bête qu’elle est, m’a vivement préoccupé… Les sentimens les plus profonds dans les natures les plus simples, les situations les plus puissantes dans les destinées les plus obscures, il y a là quelque chose de neuf et de singulièrement dramatique. On s’est trompé sur le drame : on l’a pris dans la bourgeoisie, dans cette région moyenne des existences où souvent tout est vulgaire sans que rien soit simple. Des idées et des sentimens naturels dans des esprits sans culture, les combinaisons tragiques de la destinée humaine dans une sphère complètement ignorée, des événemens qui remuent et qui développent tout l’homme dans une nature tout à fait étrangère au monde et qui n’a pas reçu le pâle reflet des classes supérieures, voilà d’où l’on peut tirer quelque chose de très vrai et de profondément saisissant. Une tragédie bourgeoise est presque nécessairement livrée à la puérilité et à l’emphase ; une tragédie populaire pourrait être simple et terrible. »

Le morceau est curieux sous la plume de ce docteur de la bourgeoisie triomphante. Notez d’ailleurs que celui-là, dont plus tard on devait citer, avec tant de colère et de haine, les dures paroles sur « le travail pénible, répugnant et mal rétribué, » qui n’est pour le peuple « qu’un frein nécessaire, « celui-là même achevait ainsi la lettre que je viens de rappeler : « Les lois de la société tombent de haut, et quand elles arrivent dans les classes inférieures, elles y commettent toutes sortes de méprises. De la misère, des nécessités pressantes et partout réprimées, des combinaisons très simples, très nobles, des situations que le cours général des choses traite et bouleverse sans raison, sans pitié, parce que les individus n’attirent jamais d’avance l’attention, enfin toutes les forces de la nature humaine aux prises avec toutes les vicissitudes, toutes les chances de la destinée humaine, un homme de génie trouverait là, j’en suis sûr, les effets les plus neufs et les plus puissans. »

Cet homme de génie est-il né ? S’il l’était, M. Guizot serait mort presque au seuil de la terre promise. D’aucuns peut-être affirmeront que tel est son cas ; mais je doute que l’Assommoir eût suffi pour que l’hermite du Val-Richer regardât comme accomplie la prophétie de sa jeunesse. J’ai peine à croire qu’il eût chanté, en apprenant le succès de M. Busnach, un glorieux Nunc dimittis : il me semble que l’œuvre ne l’eût pas satisfait de tous points. Les personnages en sont bien, comme il le demandait dans cette lettre, dénués de toute culture,