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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/224

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étrangers au monde, éloignés du reflet des classes supérieures ; ils s’agitent, à son gré, dans une destinée obscure ; ils sont pressés par la misère, ils ont des aventures les plus ordinaires du monde ; mais M. Guizot voulait que tout cela fût à la fois très simple et très noble, et je crains que certaines situations de l’Assommoir, pour simples qu’elles soient, n’eussent paru à ce puritain de trop douteuse noblesse.

Aussi bien ce n’est pas des « naturalistes, » quelque’ sens qu’on attache plaisamment à ce mot, ce n’est pas des a naturalistes » plutôt que d’autres qu’il faut attendre et réclamer la tragédie populaire. Si le « naturalisme » est quelque chose, c’est une méthode et non un parti-pris de préférence pour une catégorie d’objets. L’un des chefs de l’école, et l’un des plus légitimes, sinon des mieux désignés à l’engoûment du public, M. Edmond de Goncourt, a fort bien débrouillé la chose dans la préface de son dernier roman. Il a déclaré, — il avait qualité pour le faire, — que cette méthode ne doit pas servir seulement à « décrire ce qui est bas, ce qui est répugnant, ce qui pue, » mais encore à « définir dans de l’écriture artiste ce qui est élevé, ce qui est poli, ce qui sent bon, » à « donner les aspects et les profils des personnes raffinées et des choses riches. » Pourquoi les naturalistes, ou du moins plusieurs d’entre eux, s’adonnent-ils si volontiers à l’étude de « la canaille ? » Parce que « la femme et l’homme du peuple, plus rapprochés de la sauvagerie, sont des créatures simples et peu compliquées, » tandis que dans les hautes classes l’originalité de chaque personne est déterminée par des demi-teintes, par des nuances, par des « riens insaisissables. » L’observateur a plus vite fait et plus facilement de décrire des organismes grossiers et primitifs que les produits extrêmes d’une savante culture. Mais M. de Goncourt avertit les « jeunes, » les pupilles du parti que le temps est déjà passé de ces commodes besognes, qu’il est urgent d’éprouver et de justifier la méthode en l’appliquant à de plus précieux objets, que là maintenant gît le succès pour eux « et non plus dans le canaille littéraire, épuisé par leurs devanciers. » Prenez garde seulement que M. de Goncourt parle aux faiseurs de romans, non aux auteurs dramatiques. Il n’est pas prouvé que le populaire, sinon « le canaille, » épuisé pour les uns, le soit aussi pour les autres.

En effet, ce genre, annoncé par M. Guizot, demeure intact après même qu’on a semblé en faire abus, — et, je vous prie, à quelle époque ? Justement sous cette monarchie bourgeoise dont M. Guizot fut ministre ; si bien que ce semblant d’abus le dégoûta peut-être de tout un ordre d’ouvrages qu’il avait appelés de ses vœux. Rappelez-vous l’Ouvrier, les Deux Serruriers, les Mystères de Paris, le Chiffonnier de Paris et tous ces mélos prétendus humanitaires, dont