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d’état avec le prince chancelier d’Allemagne ? Tout cela en vérité ne laisserait pas d’avoir quelque importance et prêterait à plus d’un commentaire. Si l’entrevue n’est pas vraie, M. Gambetta avait un moyen bien simple de dissiper toutes les obscurités. Il n’avait qu’un mot à dire et il pouvait dire ce mot le plus simplement du monde, sans aucune difficulté, de façon à se dégager lui-même sans émouvoir en rien le tout-puissant châtelain de Varzin. C’était une affaire de forme et de langage. La pire des choses, ce qui caractérise justement ces conditions étranges où nous vivons, c’est qu’il y ait un doute, c’est qu’on puisse supposer qu’un homme, si considérable qu’il soit, se croie autorisé par un ascendant particulier à tenter, fût-ce avec les meilleures intentions, une démarche engageant les intérêts du pays. Voilà le point vif et, si l’on nous permet le mot, la moralité de l’incident. C’est ainsi que M. Gambetta, par cette prépotence qu’il affecte, à laquelle il s’est accoutumé, s’expose à se créer des embarras qui peuvent devenir des embarras pour le pays en compliquant nos affaires ; c’est ainsi qu’en rendant le pouvoir à peu près impossible pour tout le monde, il ne l’a pas rendu plus aisé pour lui-même : il s’est préparé au contraire cette situation où, pressé de toutes parts, ne pouvant plus reculer, il est tenu de faire plus qu’un autre pour répondre aux impatiences qu’il a provoquées.

La première difficulté pour M. Gambetta est de passer de ce règne commode de l’influence irrégulière à l’action directe et avouée du gouvernement, de se plier aux conditions et aux responsabilités du régime parlementaire, d’être en un mot le chef avoué d’une combinaison ministérielle au lieu d’être l’embarras de toutes les combinaisons. La seconde difficulté pour lui est de dégager de toutes ces idées mal définies, de tous ces projets incohérens de réformes qu’il accumule depuis longtemps dans ses programmes, une politique sérieuse et précise. M. le président de la chambre aura certes de la peine à se tirer de là avec les habitudes qu’il a contractées et les préjugés de parti dont il ne paraît pas disposé à se défaire.

Que la situation telle qu’elle existe au moment où il semble décidé à entrer au pouvoir soit singulièrement compromise et appelle sans plus de retard une politique énergiquement, habilement réparatrice, c’est ce qui frappe tous les yeux. Le mal ne se traduit pas sans doute encore par des désordres, par des agitations matérielles dans le pays ; il n’est pas moins réel et moins sensible. Évidemment depuis quelques années, depuis qu’on s’est flatté d’avoir inauguré un système de gouvernement qui, sous prétexte de s’inspirer de l’idéal républicain, ébranle tout, la désorganisation a fait d’étranges progrès. Elle pénètre dans toutes les administrations, où elle dissout les plus simples habitudes de régularité et de discipline ; elle se déguise assez fréquem-