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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/253

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I

Au 1er janvier 1740, les deux plus grands souverains de l’Allemagne, l’empereur Charles VI et le roi de Prusse Frédéric-Guillaume II, étaient l’un et l’autre dans un état de santé dont le déclin visible annonçait une fin prochaine, mais il s’en fallait bien que leur succession, prête à s’ouvrir, se trouvât dans des conditions analogues.

Le règne, long et d’abord brillant, de Charles VI, se terminait par une suite d’humiliations, et de malheurs. Dès son avènement au trône, il avait vu consommer la dissolution définitive de cette puissante agglomération d’états dont l’ensemble, réuni sous la main d’un grand homme, avait menacé un instant l’Europe du retour de la monarchie universelle. L’Espagne s’était détachée pour jamais de l’héritage de Charles-Quint, entraînant avec elle ses vastes dépendances d’outre-mer, et, avec Naples et la Sicile, tout le midi de la péninsule italienne. Au nord de l’Italie, à la vérité, la couronne d’Autriche conservait, sur les deux rives du Pô, des possessions étendues : le Milanais, la Toscane, les duchés de Parme et de Plaisance : mais là même sa domination était menacée soit par les prétentions des princes de la nouvelle dynastie espagnole, soit par l’ambition croissante des ducs de Savoie, maîtres du Piémont, et qui venaient de se faire décorer du titre de roi de Sardaigne. Une guerre malheureuse, soutenue récemment contre la France dans ces plaines mêmes de la Lombardie, n’y avait pas relevé l’honneur des armes impériales. Elles n’avaient pas été plus heureuses à l’autre extrémité de l’Europe, sur les bords du Danube, où les Turcs venaient de se faire restituer, par le traité de Belgrade, la Valachie, la Serbie et toutes les conquêtes du prince Eugène. Ces tristes campagnes avaient épuisé les finances de l’empire et désorganisé son administration.

Mais ce n’était pas là le sujet principal des préoccupations du prince défaillant. Ce qui troublait ses veilles et hâtait les progrès de son mal, c’était l’inquiétude qu’il éprouvait de laisser périr avec lui l’intégrité du patrimoine royal qu’il avait reçu de ses aïeux. Sa race s’éteignait en lui, car il n’avait point d’héritier mâle ; sa fille, une princesse de vingt-trois ans, avait-elle qualité, aurait-elle l’autorité suffisante pour recueillir tout son héritage ? En droit, rien n’était plus susceptible de controverse ; en fait, rien n’était moins vraisemblable. On avait autrefois beaucoup félicité la maison d’Autriche d’avoir acquis ses nombreux domaines, non par la force des armes, mais par le mode beaucoup plus pacifique des alliances princières et des unions conjugales :

Bella gerant alii : tu, felix Austria, nube ;