de Charles VI, dont une profonde mélancolie était depuis plusieurs années le symptôme, personne ne s’attendait à la rapidité de l’accident qui l’emporta. Un refroidissement pris à la chasse, suivi d’une indigestion causée par un plat de champignons, le mit, en deux jours, dans un état si désespéré, qu’à peine lui resta-t-il le temps suffisant pour bénir ses enfans et recommander son âme à Dieu.
Rien n’était préparé pour un événement que tout le monde aurait dû prévoir. L’empereur laissait bien, on l’a vu, l’intégrité de sa succession à sa fille aînée par un testament revêtu de l’adhésion de toutes les puissances. Mais, outre que quelques-unes de ces adhésions étaient accompagnées de réserves menaçantes, on sait ce que valent, pour les vivans, les engagemens pris envers les morts. Une seule chose eût pu donner à ces dispositions posthumes une sanction effective : c’eût été l’élection du gendre de Charles VI et de l’époux de Marie-Thérèse à la dignité de roi des Romains, élévation qui aurait fait de lui le chef désigné d’avance du saint-empire et le successeur de Charlemagne.
Tel avait bien été, en effet, le désir de l’empereur défunt, et il en avait entretenu sous main, à plusieurs reprises, quelques-uns des princes électeurs ; mais il avait tardé jusqu’au dernier jour à leur en faire la proposition publique, attendant toujours que le jeune grand-duc eût fait oublier, par un séjour de quelque durée en Allemagne ou par des services éclatans, la qualité d’étranger qu’on lui reprochait. Il aurait désiré aussi, avant de rien tenter, que l’archiduchesse eût mis au jour un héritier mâle, afin de garantir l’avenir contre le retour des embarras de la succession féminine. Aucune de ces espérances n’était réalisée : l’archiduchesse n’avait que deux filles ; le jeune grand-duc, d’un caractère frivole, d’un esprit étroit et de manières hautaines, ne réussissait pas à se faire aimer ; dans la dernière guerre contre les Turcs, où il avait commandé un corps d’armée, il n’avait fait preuve d’aucun mérite particulier et partageait l’impopularité commune à tous les généraux compromis dans cette campagne désastreuse.
Ce qu’il y avait de plus fâcheux, c’est que c’était dans les états héréditaires de la maison d’Autriche, au centre même de son patrimoine, que ce sentiment de défiance était le plus marqué. Vienne, accoutumée depuis des siècles à être la capitale de l’empire, était peu pressée de compromettre cette position prépondérante par une fidélité excessive aux droits contestables d’une jeune femme qu’on connaissait peu, mariée à un étranger qui ne se faisait pas avantageusement connaître. Parmi les nombreux aspirans qui pouvaient prétendre à la succession de Charles VI, s’il en était un qui dût parvenir plus aisément à la couronne impériale que l’époux de Marie-Thérèse, pourquoi ne pas se rallier à celui-là et l’accepter de