Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/370

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

résolument à l’œuvre. Un système ingénieux de canaux écoula vers la mer toutes les eaux de la plaine. Ces canaux étaient navigables et servaient à porter les denrées du pays aux navires, qui les attendaient dans le port. Le territoire assaini était devenu merveilleusement fertile : Vairon affirme que le blé y produisait au centuple. On y récoltait aussi du vin et de l’huile d’excellente qualité ; les forêts de la Sila, dans le voisinage, donnaient des bois recherchés pour les constructions navales ; on exportait en grande quantité des laines, des cuirs, de la cire, du miel. Enfin les habitans de ces riches contrées, qui étaient intelligens autant qu’industrieux, eurent l’idée d’accorder l’exemption des droits d’entrée à certaines marchandises précieuses : c’était, comme on dirait aujourd’hui, créer un port franc, et par ce moyen attirer tout le mouvement commercial chez soi. Il ne faut donc pas s’étonner que le commerce et l’agriculture aient donné à ce pays une prospérité incroyable ; mais la prospérité, comme on l’a déjà vu, amena vite avec elle la corruption.

Les Sybarites paraissent avoir été encore plus corrompus que les Tarentins. Ils ont chez nous une fort mauvaise réputation, et leur nom seul est une injure. Il en était de même dans l’antiquité, et « mener la vie de Sybaris » voulait dire vivre dans la mollesse et la débauche. Les griefs que les historiens adressent aux Sybarites sont nombreux et graves. D’abord ils poussaient plus loin que les Asiatiques mêmes le luxe du mobilier et du vêtement. Ils n’admettaient pas qu’un homme qui se respectait pût porter autre chose que des étoffes en laine de Milet, couvertes de broderies somptueuses. Je renvoie au livre de M. Lenormant ceux qui voudraient connaître la description de ce manteau brodé d’or que le Sybarite Alcisthène avait fait exécuter sur commande par les plus fameux métiers de l’Asie pour le porter un jour à la fête de Junon Lacinienne. C’était la merveille du genre. Qu’il suffise de savoir que Denys de Syracuse, l’ayant trouvé plus tard dans le trésor de Crotone, le vendit aux Carthaginois pour une somme qui équivalait au moins à 2 millions de notre monnaie. Les Sybarites étaient aussi de grands buveurs qui avaient inventé des procédés ingénieux pour boire longtemps sans perdre la raison, et surtout des gourmets déterminés. Ils regardaient les festins comme des actes capitaux de la vie de la cité ; aussi avaient-ils pris l’habitude, pour en rehausser la solennité et donner le temps de s’y préparer sérieusement, de faire les invitations un an à l’avance. C’était un concours : ceux qui donnaient les meilleurs dîners recevaient des couronnes d’or comme récompenses nationales. Le même honneur était décerné aux cuisiniers qui s’étaient le plus distingués dans ces grandes occasions. S’ils avaient inventé un plat nouveau, l’état leur accordait le privilège d’exploiter seuls leur découverte pendant un an : c’est le