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consensus de l’organisme, comme, dans un lac, le mouvement particulier de chaque goutte d’eau vers le centre de la terre produit le niveau général de la surface. La finalité en vue de l’utile fait donc place à ce que Cuvier appelait déjà, avec Lamarck, le principe des « conditions d’existence ; » et qu’est-ce que ce principe, sinon une des mille formules dans lesquelles peut se traduire, comme en des équations algébriques successives, le principe de l’universelle causalité ou du pur déterminisme ? Point d’effet possible sans les conditions qui le rendent possible et que, par une sorte de mirage, nous convertissons en moyens prévus.

Si les naturalistes contemporains parlent encore du but d’un organe et de l’harmonie qui relie les organes entre eux selon le type de l’espèce, ils n’entendent plus par là rien de mystérieux, rien d’analogue à la cause finale proprement dite, rien de prévu ou de prédéterminé dans une intelligence quelconque : il s’agit simplement de corrélation mécanique entre les organes. Supposez un cadre mobile dont les baguettes, attachées deux à deux, peuvent cependant pivoter sur leur attache : si vous inclinez un des côtés, les autres s’inclinent nécessairement et forment un losange au lieu d’un carré ; le parallélisme n’en subsiste pas moins entre les côtés, et si deux des angles s’élargissent, les deux autres, comme par une utile compensation, diminuent d’autant : la figure demeure donc harmonique dans toutes ses variations. De même pour les organes : ils varient en fonction les uns des autres ; leur réciprocité et leur utilité mutuelles résultent d’une mutuelle nécessité qui les lie l’un à l’autre mécaniquement, comme la hauteur du mercure dans un baromètre est liée à la hauteur de la colonne atmosphérique. Si donc il y a dans les organes un caractère d’utilité ou mieux de nécessité par rapport à la vie même, c’est parce qu’ils sont des conditions d’existence ; mais cette utilité qu’offre un organe, et qui le met en harmonie avec le tout, n’est réellement aux yeux des savans qu’une « propriété » du même ordre que les autres, puisqu’elle consiste simplement dans un rapport de cause à effet, géométriquement réductible au parallélogramme des forces. Ce n’est pas, selon l’expression inexacte et malheureuse de Littré, la propriété de s’adapter « à des fins, » mais c’est simplement celle de s’adapter à des causes, c’est-à-dire de subir l’action fatale du milieu. Si l’objection de M. Ravaisson est valable contre la première expression, elle tombe devant la seconde. Supposons qu’en présence d’une multitude d’arbres abattus par l’ouragan un enfant s’étonne de voir les plus gros rester seuls debout ; lui expliquera-t-on ce fait par les intentions du vent ou par celles des arbres ? On se contentera de lui dire que les troncs les plus larges ont résisté parce qu’ils étaient les plus forts ; de même, dans la lutte des êtres animés pour la vie, ceux qui ont