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faite de la réalité. « D’abord, dit M. Lachelier, rien n’assurerait la conservation des corps bruts, » qui sont un assemblage de corps plus petits, « car il n’y a aucune raison, à ne considérer que les lois générales du mouvement, pour que ces petits corps continuent à se grouper dans le même ordre, plutôt que de former des combinaisons nouvelles, ou même de n’en plus former aucune. » — Nous venons de voir au contraire que, par cela seul qu’une combinaison s’est produite, elle tend à persister ou à ne disparaître que par degrés, selon la loi de continuité et par l’intervention de causes nouvelles. Quant à croire que des corps animés de mouvemens simultanés puissent cesser de former des combinaisons, ce serait croire que des mouvemens selon les côtés du parallélogramme pourraient cesser décomposer un mouvement selon la diagonale, si un artiste suprême ne se proposait pas de réaliser cette figure agréable à l’œil. « L’existence même des petits corps, continue M. Lachelier, serait à nos yeux aussi précaire que celle des grands ; car ils ont sans doute des parties, puisqu’ils sont étendus, et la cohésion de ces parties ne peut s’expliquer que par un concours de mouvemens qui les poussent incessamment les uns vers les autres ; ils ne sont donc à leur tour que des systèmes de mouvemens, que les lois mécaniques sont par elles-mêmes indifférentes à conserver ou à détruire. » Nous venons de voir encore que cette indifférence est contradictoire : le déterminisme des causes forme au contraire un réseau tellement serré qu’il n’admet de mouvemens nouveaux et de différences que selon le dessin préexistant de ses mailles. Quant au concours des mouvemens atomiques, il est une résultante inévitable des résistances et des luttes dont nous parlions tout à l’heure : c’est la forme ordonnée d’un désordre esthétique fondamental.

Enfin, ce que M. Lachelier nous dépeint comme le résultat le plus « monstrueux » d’un mécanisme non régi par la finalité, c’est l’impossibilité de subsister où seraient, selon lui, toutes les espèces, principalement les espèces vivantes. « Si le mécanisme seul régissait le monde, dit-il, nous n’aurions aucune raison de croire à la permanence des espèces vivantes. Nous pourrions supposer indifféremment, ou que chaque génération donnera naissance à une espèce nouvelle, ou qu’il ne naîtra plus que des monstres, ou que la vie disparaîtra entièrement de la terre. » — Outre que les espèces ne sont pas d’une permanence absolue, on peut remarquer de nouveau combien est inadmissible la supposition d’une indifférence mécanique qui existerait dans les conditions productrices des espèces actuellement vivantes ; s’imaginer que les brebis vont engendrer des loups, les oiseaux des poissons, s’il n’y a pas un éternel artiste « qui veille, pour ainsi dire, au maintien des espèces, il est aussi contradictoire