que de croire qu’une pierre abandonnée en l’air va tout d’un coup s’élever au lieu de tomber vers son centre de gravitation, qu’une balance va pencher soudainement du côté du poids le plus faible, ou, d’une manière générale, qu’un mouvement déterminé dans une direction déterminée va s’arrêter sans cause déterminée. M. Lâchelier, qui a admis le déterminisme mécanique comme une loi nécessaire de la pensée, nous semble donc se contredire en représentant le même déterminisme comme un indéterminisme d’où pourraient sortir au hasard toutes les formes. « Le monde d’Épicure, dit-il, avant la rencontre des atomes, ne nous offre qu’une faible Idée du degré de dissolution où l’univers, en vertu de son propre mécanisme, pourrait être réduit d’un instant à l’autre ; on se représente encore des cubes ou des sphères tombant dans le vide, mais on ne se représente pas cette sorte de poussière infinitésimale, sans figure, sans couleur, sans propriété appréciable par une sensation quelconque. Une telle hypothèse nous paraît monstrueuse, et nous sommes persuadés que, lors même que telle ou telle loi particulière viendrait à se démentir, il subsisterait toujours une certaine harmonie entre les élémens de l’univers ; mais d’où le saurions-nous, si nous n’admettions pas a priori que cette harmonie est, en quelque sorte, l’intérêt suprême de la nature, et que les causes dont elle semble le résultat nécessaire ne sont que des moyens sagement concertés pour l’atteindre[1] ? » Les causes mécaniques sont plus que suffisantes, répondrons-nous, pour empêcher la réduction du monde en une poussière infinitésimale, ou même pour faire sortir le monde de cette poussière. Laplace n’a-t-il pas montré qu’une nébuleuse immense, sorte de poussière cosmique, formera nécessairement un système analogue à notre système stellaire ? Conformément aux idées de Laplace, MM. Spencer et Darwin ont fait voir comment se produit dans la nature un triage mécanique qui aboutit à des formes régulières. C’est ce qu’on appelle la loi de ségrégation et de sélection. Lorsque vous placez au hasard dans un van des corps de poids différens, comme les grains de blé et les pailles, on démontre mathématiquement que les corps les plus légers s’envoleront et se disperseront au loin, que les corps moins légers iront tomber un peu plus près et se rassembler en amas plus ou moins serrés, enfin que les corps les plus lourds, ayant un surplus de force sur la résistance de l’air, demeureront réunis au fond du van. Il est inutile de supposer ici un plan de distribution et de ségrégation concerté d’avance. Au lieu d’être un éternel artiste, la nature n’est qu’un éternel vanneur qui, agitant toutes choses en tous les sens, produit mécaniquement l’assemblage et le concours des choses homogènes, la séparation et
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