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L’ambassadeur d’Angleterre seul était sombre et agité. Il avait en poche depuis cinq jours des instructions pressantes que la fugue de M. de Bismarck avait laissées en souffrance. Il attendait avec une impatience nerveuse pour s’en acquitter que le roi voulût bien lui adresser la parole. Lord Loftus avait la ténacité britannique ; il était loyal, rond d’allures, mais il n’avait pas la main légère ; il ne glissait pas, il appuyait. Il ne connaissait que les instructions de son gouvernement ; il les faisait songer très haut, il ne les oubliait dans aucune circonstance de la vie. La politique l’obsédait ; il en parlait partout et toujours, il harcelait ses collègues de questions et si, malgré cela, il n’était pas le diplomate le mieux renseigné, du moins il se flattait de l’être. Le roi, qui évitait toujours avec le plus grand soin de causer politique, ne put cette fois échapper à l’entretien. À la première parole insignifiante qu’il lui adressa, lord Loftus lui représenta que son gouvernement désirait une solution pacifique et qu’il n’accepterait pas une conférence si la Prusse ne consentait au préalable à évacuer la forteresse. Il ajouta en réponse à une observation de sa majesté, qui disait que son gouvernement avait à tenir compte de l’état de d’opinion publique en Allemagne, qu’il fallait prendre en considération l’opinion européenne de préférence à l’opinion allemande. L’ambassadeur de France suivait le colloque du regard ; il voyait lord Loftus parler avec une vivacité solennelle et la figure du roi trahir l’impatience. « J’observais le roi, écrivait-il ; il m’était facile de constater que Sa Majesté n’accueillait pas avec faveur les observations de l’ambassadeur. Lord Loftus, ajoutait-il, n’en est pas moins convaincu que ses paroles laisseront une salutaire impression. » La certitude d’être soutenu quand même par un gouvernement qui sait ce qu’il veut a toujours été la force de la diplomatie anglaise.

Le lendemain, M. d’Oubril venait à son tour, mais en ami de la maison, s’acquitter de ses instructions. Ce n’étaient pas des remontrances, mais des conseils, qu’il apportait à M. de Bismarck, tout préparé d’ailleurs à la communication qu’il était chargé de faire. Déjà le président du conseil avait admis que, si la proposition de se présenter dans une conférence lui était faite, il lui serait difficile de la décliner. Mais il ne s’était pas prononcé sur le droit de garnison ; il avait indiqué, au contraire, en se livrant à des déclamations contre un parti-pris de la France de faire la guerre à l’Allemagne, que la Prusse n’était pas disposée à évacuer le Luxembourg. Le discours que le roi avait prononcé, le 17 avril, à la fermeture du parlement du Nord, n’était guère plus rassurant. Il avait dit, en faisant allusion au Luxembourg, que l’heure était venue pour la patrie allemande de faire respecter par sa puissance ses droits et sa dignité. Du moment que sur une question aussi simple le