gouvernement prussien mettait en avant son droit et sa dignité, il était clair qu’il n’entendait se prêter à aucune transaction.
Mais, depuis le 17 avril, on avait perdu bien des illusions. L’intervention des puissances s’était accentuée ; les passions nationales avaient mis la sourdine ; à leurs bruyans éclats, la France n’avait fourni aucun prétexte, et à mission de M. de Tauffkirchen avait échoué. Se refuser à toute concession, c’était braver le sentiment de l’Europe, c’était assumer toute la responsabilité des événemens.
Aussi le président du conseil, malgré le discours royal et malgré ses déclarations et celles de la Gazette de l’Allemagne du Nord, qui, le 25 encore, opposait un démenti à ceux qui prétendaient que le cabinet de Berlin, moyennant certaines conditions, consentirait à retirer sa garnison, donnait-il, le 26, à M. d’Oubril le consentement de la Prusse à l’ouverture de négociations collectives à Londres sur la base de la neutralité du Luxembourg, placée sous la garantie européenne, ce qui impliquait évidemment l’évacuation.
C’était un résultat important, et le mérite en revenait au cabinet de Pétersbourg. Le prince Gortchakof recueillait, en intervenant à l’heure psychologique, le bénéfice des efforts que l’Autriche et l’Angleterre tentaient infructueusement depuis plusieurs semaines. Quelques jours après, M. de Bismarck se rencontrait à un dîner donné par le ministre de Russie, à l’occasion de la fête de l’empereur, avec l’ambassadeur de France. Il le rechercha à différentes reprises, et, au dessert, au moment où M. d’Oubril portait un toast au succès de la conférence, il avança ostensiblement son verre pour rencontrer celui de M. Benedetti. La quarantaine était levée. En sortant de table, le chancelier attira l’ambassadeur dans une embrasure de fenêtre. Il se félicita, avec la cordialité qu’il sait déployer lorsqu’elle convient à ses desseins, du revirement qui s’opérait dans les esprits. « On a fait ici, disait-il, et l’on voudrait faire encore bien des bêtises ! » C’était un aveu et une justification. Il reconnaissait qu’à Berlin, on avait voulu faire la guerre, qu’on la poursuivait toujours, en même temps qu’il s’attribuait le mérite de la conjurer. Il se justifiait ainsi, au détriment du parti militaire, cet être impersonnel qui semblait tenir en échec, et la sagesse du roi, et l’action de son gouvernement. Les récriminations n’étaient plus de saison, M. Benedetti se contenta de prendre acte de l’aveu : il n’essaya pas de prolonger un entretien qui ne laissait pas d’être gênant sous les regards curieux et attentifs de tous les membres du corps diplomatique, prêts à s’emparer de quelques paroles saisies au vol pour en faire le thème de volumineuses dépêches.