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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/439

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de nos départemens encore, l’ouvrier des champs ne souhaite pas de posséder la terre qu’il cultive, de même que l’ouvrier des fabriques la maison qu’il habite ; dans certaines contrées, et malheureusement à notre avis dans le moins grand nombre, partout où le petit propriétaire peut, sur un étroit espace, subsister aisément avec sa famille, là où le travail de ses bras seuls lui donne un produit suffisant, le prix de la terre augmente encore en capital et en revenu, et l’ardeur de l’acquérir ne s’est point ralentie. Les départemens du Nord-Ouest en fournissent le plus éclatant exemple. En Normandie, en Bretagne, l’élevage du bétail, la vente du lait, du beurre, de la viande, de l’herbe, des pommes, du cidre, du bois procurent de si faciles bénéfices qu’il n’est besoin pour ainsi dire que de l’assistance passive de l’homme aux progrès successifs des saisons : le travail manuel n’est ni excessif ni intermittent. S’il se plaint d’années variables, plus ou moins abondantes, le cultivateur n’a point à redouter des chômages ruineux ou de véritables disettes, et, la demande des matières alimentaires qu’il récolte croissant sans cesse, il recherche avec la même impatience qu’autrefois l’occasion d’acquérir ce sol privilégié où l’existence lui est si douce. On n’en saurait dire autant des contrées où le prix de la main-d’œuvre s’est tellement accru par la nécessité d’enrôler des ouvriers de passage, que l’emploi des machines doit s’y substituer à bref délai au travail manuel, non plus que des localités encore plus malheureuses où des fléaux importés du dehors ont anéanti les productions locales et détourné, momentanément il faut l’espérer, les capitaux et les hommes. Au centre et au midi de la France, la valeur de la terre a réellement diminué. La grande culture, devenue plus onéreuse, n’est plus recherchée par cette classe de fermiers riches et habiles qui formaient une corporation toute-puissante ; la petite culture est impraticable ; on entend dire partout que les baux ont baissé, et que nombre de propriétaires sont forcés de cultiver à perte les fermes abandonnées. Le phylloxéra a tué la vigne dans beaucoup de contrées où la substitution de cette nouvelle culture aux anciennes avait brusquement élevé la fortune des habitans à un chiffre inouï que l’apparition de l’insecte apporté d’Amérique a fait ensuite disparaître non moins rapidement. Les mûriers, les oliviers ont été frappés comme la vigne, et aucune appropriation plus fructueuse n’a été donnée aux champs dévastés. Aussi le métayage dans notre Midi, le fermage au Centre, ont-ils vu décroître avec leurs bénéfices le nombre des exploiteurs et des acquéreurs de la terre.

À ces causes incontestables de la tiédeur actuelle avec laquelle est recherchée la propriété foncière, il faut enfin ajouter l’entrain qui pousse toutes les classes de la population non pas vers les