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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/489

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donnait lieu à des commentaires. Gangrène était une métaphore assez claire qui se comprenait d’elle-même. Mais l’opération, quelle était-elle et quel chirurgien s’offrait à la faire ? Il fallut se décider à tirer au clair ce que signifiaient ces offres conditionnelles, que personne n’avait sollicitées, faites au prix de sacrifices indéterminés. La mission d’aller s’en s’expliquer à Berlin fut confiée à un vieil Italien de grande expérience, le marquis de Botta d’Adorno.

Botta était un compatriote de Machiavel, dont il avait compris, peut-être pratiqué plus d’une fois dans sa vie, les maximes, bien qu’il n’eût pas employé sa jeunesse à les réfuter. Il ne fut pas plus tôt de l’autre côté de la frontière, que la vue des préparatifs militaires opérés de toutes parts ne lui laissa aucun doute. Tout était prêt pour une marche agressive dont la Silésie était l’objet désigné. Il arriva à Berlin tout ému et jetant feu et flammes. Une audience qu’il obtint aussitôt ne le rassura ni ne l’éclaira. Frédéric, semblait attendre de lui quelque proposition au lieu de lui en faire et ne le mit sur la voie d’aucune ouverture. Et, comme pour amener la conversation sur le sujet des armemens, Botta insistait sur le mauvais état où il avait trouvé les routes, défoncées par des convois de troupes dans la saison d’automne : « Je n’y vois pas grand inconvénient, reprit le roi avec indifférence, excepté de faire arriver les voyageurs un peu crottés. » Vers la fin de l’entretien cependant, il consentit à dire que son ministre à Vienne était chargé de faire connaître à la reine ses intentions, et qu’afin de compléter ces explications, il allait dépêcher à Marie-Thérèse son maréchal de la cour, le comte de Gotter. « Que la reine réfléchisse bien, ajouta-t-il, sur mes communications, elle verra combien mes projets sont raisonnables et mes intentions pures. Assurez-la de mon dévoûment. »

Botta sortit plus irrité, plus effrayé que jamais. Mais ce qu’il y eut de plus piquant pour lui, c’est que personne ne voulait croire ni à sa colère, ni à son effroi. Du moment qu’on avait annoncé sa venue, le bruit s’était répandu comme une fusée, dans Berlin, qu’il apportait un traité d’alliance stipulant le consentement de Frédéric à l’élection du grand-duc, moyennant la cession de tout ou partie de la Silésie. Ce fut bientôt une conviction générale que tous les indices semblaient confirmer. Cet ambassadeur qui arrivait sans avoir rien à dire et sortait d’une audience où il prétendait n’avoir rien appris : cet autre envoyé qui allait partir avec des paroles d’amitié et de dévoûment, mais par le même chemin que des troupes sur le pied de guerre, comment expliquer cet imbroglio autrement que par une partie liée dont on voulait dissimuler la preuve jusqu’à la dernière heure ? Les dénégations, les imprécations même de Botta n’y