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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/493

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A ce beau mémoire, assez semblable, pour le style comme pour les idées, à celui de l’usurier de Molière jugulant un mineur dans l’embarras, le roi, pleinement satisfait du zèle de ses serviteurs, ne fit qu’un seul amendement. Le mémoire parlait de négociations à entamer avec la cour de Vienne ; le roi trouvait plus expéditif de commencer par mettre la main sur la province en question, sauf à négocier ensuite. « Il lui convenait mieux, dit M. Droysen (qui l’approuve fort) de faire comme dit le proverbe espagnol, prendre d’abord et demander après. »

Ce procédé, plus familier aux brigands qu’aux diplomates, pouvant effrayer les esprits faibles, Frédéric le proposa d’abord sous forme dubitative. « Je vous donne, disait-il à Podewils, un problème à résoudre.. Quand on est dans l’avantage, faut-il s’en prévaloir ou non ? Je suis prêt, avec mes troupes en tout : si je ne m’en prévaux pas, je tiens entre mes mains un bien dont je méconnais l’usage ; si je m’en prévaux, on dira que j’ai l’habileté de me servir de la supériorité que j’ai sur mes voisins[1]. » Podewils ne comprenant pas ou feignant de ne pas comprendre, force fut bien de s’expliquer plus clairement dans une note autographe terminée par ces mots : « Je conclus qu’il faut, avant l’hiver, s’emparer de la Silésie, et négocier l’hiver… En agissant autrement, nous nous mettons hors de nos avantages[2]. »

Il faut rendre justice au prudent ministre ; l’idée de recourir aux armes dès le premier jour et de mettre un si gros enjeu du premier coup à la loterie l’épouvanta, et, la peur éveillant ses scrupules, les droits de la couronne de Brandebourg sur la Silésie cessèrent de lui paraître aussi clairs. Il fit remarquer, avec un profond respect, à Sa Majesté que, quelque bien fondées que fussent les prétentions de sa maison, il y avait pourtant des traités solennels que la maison d’Autriche réclamerait. Le roi lui renvoya sur-le-champ son humble remontrance avec cette simple note à la marge : « L’article de droit est l’affaire des ministres et c’est la vôtre. Il est temps d’y travailler,.. car les ordres aux troupes sont donnés[3]. » Et là-dessus, Podewils d’écrire avec une certaine tristesse à son collègue : « L’ardeur du roi ne fait que croître au lieu de se relâcher. Après avoir dit tout ce que je pense,.. il ne nous reste plus que le mérité de l’obéissance. Si au moins il survenait du dehors quelque prétexte pour justifier la marche en avant ! Mais non. Ce qu’il y a de plus fâcheux, c’est qu’on ne nous fait de Vienne aucune proposition. On y est muet comme un poisson. Le roi de Pologne

  1. Pol. Corr., t. I, p. 86.
  2. Ibid., t. I, p. 84.
  3. Ibid.