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européen et allemand fut un instant dupe. On dirait même que, dans son entretien décisif avec Botta, Frédéric fit encore quelque effort pour maintenir le malentendu, car, après lui avoir révélé son dessein : « J’entre en Silésie, lui dit-il sur un ton patelin, mais comprenez bien que c’est en bon ami (come buon amico), moins pour faire valoir quelques droits que je puis avoir, que pour défendre les droits héréditaires de la reine contre tous ses ennemis, notamment la Saxe et la Bavière, qui sont prêtes à l’attaquer. Je veux mettre la couronne impériale sur la tête du grand-duc. » L’Italien, avisé, eut assez d’empire sur lui-même pour garder son sang-froid. Il laissa dire le roi, puis avec un sourire narquois sur les lèvres : « Je ne me trompais donc pas, répondit-il, quand je croyais Votre Majesté pleine de dispositions affectueuses pour la reine ma souveraine, quoique plus d’une personne à Vienne, je dois l’avouer, pense que cette opinion était de ma part un acte de confiance véritablement héroïque (puro eroismo) ; mais je ferai remarquer à Votre Majesté que ni la Saxe, ni la Bavière ne font mine de nous attaquer, et quand elles y songeraient, si Votre Majesté veut seulement rester spectatrice, ma souveraine est de force à se défendre, d’autant plus que ces deux puissances auraient de la peine à s’accorder ensemble. » Le roi voulant encore renouveler des protestations doucereuses, Botta finit par perdre patience, et élevant le ton : « Vos troupes sont belles, sire, dit-il, mais les nôtres ont senti la poudre. — Si les miennes sont belles, reprit le roi, elles sont bonnes aussi, et vous vous en apercevrez. » Et rompant brusquement l’entretien, il se leva[1].

La date de la conversation avait été combinée de manière que le courrier qui en porterait la nouvelle ne parvînt à Vienne que peu d’heures avant le nouvel envoyé de Frédéric. L’avance fut suffisante cependant pour que, lorsque le comte de Gotter arriva, il trouvât déjà la nouvelle ébruitée, la ville en rumeur, la stupeur et l’indignation partout au comble, et nulle part plus que dans les cercles diplomatiques. On n’y parlait que de l’attentat du roi de Prusse. « Si pareille chose s’accomplit, disait le ministre d’Angleterre, le roi sera excommunié de la société des gouvernemens. » Quant à la jeune reine, on la connaissait déjà assez pour savoir que son âme ne pouvait être ni égarée par la surprise, ni ébranlée par la menace. Averti de l’accueil qui l’attendait, Gotter prit le ton très haut et se posa tout de suite, comme le proconsul romain, portant la guerre ou la paix dans les plis de sa toge. Sans passer par l’intermédiaire ordinaire des ministres ou des chambellans, il demanda directement audience au grand-duc.

Dès les premières paroles : « J’apporte, dit-il, dans une main le

  1. D’Arneth, t. I, p. 75. — Droysen, t. I, p. 164.