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enlevât la couronne impériale. Fleury crut qu’il pourrait s’associer à l’une de ces entreprises en ne favorisant qu’indirectement l’autre, et reconnaître d’une main Marie-Thérèse, comme reine de Hongrie et de Bohême, tout en tendant l’autre à l’électeur de Bavière pour l’élever à l’empire. Si, ensuite, comme c’était probable, le nouvel élu se querellait avec son compétiteur de la veille et accroissait ainsi le désordre général déjà causé par la prise d’armes du roi de Prusse, ce serait un ordre de faits nouveau, dans lequel la France serait à temps de voir quelle part il lui conviendrait de prendre. Il crut mettre le comble à l’habileté de cette combinaison savante, en confiant le soin de la mener à bien à Belle-Isle lui-même, nommé ambassadeur auprès de la diète de Francfort. C’était ouvrir une carrière à l’activité de ce génie remuant, sans donner au roi la pensée de changer de main, à Versailles, la direction de la politique. Le calcul semblait parfait : de deux concessions réclamées, Fleury, accordant l’une, espérait en être quitte à moitié prix, et de deux successeurs désignés, il faisait affaire avec l’un pour mieux assurer l’éloignement de l’autre. Mais tout le monde n’avait pas sa prudence et son âge, et il avait compté sans Belle-Isle et sans Frédéric.

Quoiqu’il en soit, dès les premiers jours de décembre, Belle-Isle fut mandé de Bizy, où il demeurait depuis plusieurs semaines, spectateur des événemens, dans une attente un peu fiévreuse. Il accourut, plus au fait qu’il ne voulait le paraître d’une confidence qui ne répondait qu’à la moitié de ses espérances, et il entra dans le cabinet du cardinal presque au même moment où arrivait, de Berlin, la nouvelle de la marche en avant de l’armée prussienne, et la proposition d’alliance défensive, transmise par Valori et Beauvau.

Le vieux ministre était abattu et soucieux : cette mise en demeure, plus brusque qu’il n’avait prévu, dérangeait déjà un peu ses combinaisons. — « Il était aisé de voir, dit Belle-Isle lui-même (dans ses Mémoires encore inédits), l’embarras où il était. Il était vraiment chagrin d’un événement qui le mettait dans la nécessité d’exécuter un projet médité depuis cent ans par ses prédécesseurs, et qu’ils eussent saisi avec autant d’empressement qu’il mettait de répugnance à en profiter. » Sur ce ton plaintif et câlin qui lui était l’une de ses séductions habituelles, il commença ses doléances. « Mon premier mouvement, lui dit-il sans détour, était de ne rien faire, et je voulais que le roi fût simple spectateur de la scène qui va s’ouvrir en Allemagne. Sa Majesté possède aujourd’hui la Lorraine. Elle ne veut point étendre ses frontières, et il ne convient point du tout à l’état du royaume d’avoir une guerre qui peut être longue. Je n’ai point cessé de réfléchir depuis : j’ai discuté très amplement la matière avec les ministres seuls, et quelquefois avec eux en présence de Sa Majesté. Ils n’ont point pensé comme moi, mais sur leurs