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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/521

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prit à l’instant, que les contemporains soupçonnèrent, mais que les correspondances nouvelles nous révèlent avec une naïveté dont il faut vraiment leur savoir gré.

Tout le plan, en effet, est déroulé sans détour dans les lettres écrites par Frédéric lui-même pendant les premiers mois de 1741. Ces lettres sont datées des divers points de la Silésie, ou il transportait d’un jour à l’autre son quartier-général : car la soumission de la province s’opérait rapidement, les forces autrichiennes surprises en nombre trop faible pour essayer la résistance s’étant retirées dans quelques places fortes, et la capitale, Breslau, ayant capitulé sans combat sous la seule condition que l’armée prussienne n’y entrerait pas et qu’elle resterait administrée par ses magistrats municipaux. La lutte décisive était ainsi ajournée jusqu’à ce que la saison permît aux troupes impériales, grossies par des renforts et remises en état, de tenter un retour offensif. Frédéric avait donc quelques semaines devant lui pour faire jouer tous les ressorts de sa diplomatie ; il n’en laissa pas perdre une minute.

Averti des dispositions qui régnaient à Versailles, il écrivit lui-même à Fleury : « Mon cher cardinal, je suis pénétré de toutes les assurances d’amitié que vous me faites et j’y répondrai toujours avec la même sincérité… Il ne dépend que de vous de rendre éternels les liens qui nous uniront en favorisant la justice de mes prétentions sur la Silésie. Si je ne vous ai pas fait d’abord part de mes desseins, c’était par oubli plus que par toute autre raison : tout le monde n’a pas l’esprit aussi libre dans le travail que vous l’avez, et il n’est guère permis qu’au cardinal Fleury de penser et de pourvoir à tout. » Et chargeant lui-même Valori d’expédier sa lettre, il ajoutait : « Je ne demande pas mieux que de m’unir étroitement à Sa Majesté Très Chrétienne, dont les intérêts me seront toujours chers, et je me flatte qu’elle n’aura pas moins d’égards pour les miens[1]. »

Mais, de la même main et sans doute de la même plume, il n’était pas plus embarrassé pour écrire au roi d’Angleterre : « Monsieur mon frère, je suis charmé de voir que je ne me suis pas trompé dans la confiance que j’ai mise dans Votre Majesté… N’ayant eu alliance avec personne, je n’ai pu m’ouvrir avec personne ; mais voyant les bonnes intentions de Votre Majesté, je la regarde comme étant déjà mon alliée et comme ne devant à l’avenir avoir rien de caché ni de secret pour Elle… Bien loin de vouloir troubler l’Europe, je ne prétends rien, sinon qu’on ait égard à la justice de mes

  1. Pol. Corr., t. I, p. 170-171. Frédéric au cardinal Fleury et à Valori, 5 janvier 1741.