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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/629

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pour quelques jours secouer dans des distractions équivoques les soucis du pouvoir.

Le roi Guillaume du moins se montra courtois et déférent ; il séduisit par l’aménité de sa personne et le charme de ses causeries. Sa mâle prestance fut remarquée à la revue de Long-champs, elle contrastait avec celle de l’empereur Alexandre, qui suivait les défilés d’un regard ennuyé et légèrement railleur. Le roi saluait les régimens d’un air martial, paraissait admirer leur tenue, tout en constatant avec satisfaction la faiblesse de leurs effectifs. Il négligea les petits théâtres, évita le café Anglais. Il savait subordonner ses plaisirs et ses rancunes à la raison d’état. Il se contenta d’observer et de préparer l’avenir, tandis que M. de Bismarck nous tâtait le pouls et que le général de Moltke et ses officiers faisaient des promenades stratégiques dans les environs de Paris. Il s’appliqua à rassurer l’empereur sans lui fournir l’occasion de sortir des généralités. Il avait un don précieux pour un souverain : celui de savoir échapper aux questions importunes et de ne rien dire au-delà de ce que comportait l’intérêt de sa politique.

L’empereur Alexandre quitta Paris le 13 juin. L’insulte qu’il essuya au Palais de justice et l’attentat dont il fut l’objet au bois de Boulogne, au retour de la revue de Longchamps, ne lui laissèrent de son séjour en France que d’amers souvenirs. On ne s’en aperçut que trop en 1870.

Le roi Guillaume le suivit de près. Il avait provoqué partout où il avait paru une grande impression. Il laissait sous le charme tous ceux qui l’avaient approché. La cour des Tuileries le vit s’éloigner à regret : il était l’hôte préféré ! On échangea à l’heure du départ de chaleureuses protestations[1]. On promit de se revoir ! L’empereur ne se doutait pas que la main qu’il serrait si affectueusement briserait sa couronne.


G. ROTHAN.

  1. « Château de Babelsberg, 15 juin 1867, 8 heures 50 soir.
    « A Sa Majesté l’Empereur des Français à Paris.
    « Au moment de rentrer dans mes foyers, je m’empresse de vous remercier de tout mon cœur, Votre Majesté ainsi que l’Impératrice, pour l’accueil plus qu’aimable et amical que j’ai rencontré de la part de Vos Majestés pendant mon séjour à Paris, à jamais mémorable sous tant de rapports.
    « C’est en formant les vœux les plus sincères pour le bonheur de Vos Majestés et pour la France que je suis de Votre Majesté le bon frère et ami.
    « GUILLAUME. »