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faisait la brèche ou les travaux de sape et de circonvallation, il traçait des figures d’escarpement et de fortification que Léonard de Vinci a étudiées, et inventait la grenade ou boîte à balles, en usage aujourd’hui dans l’artillerie. Les préoccupations d’un mécène ne l’abandonnaient pas au milieu de cette vie d’aventures et de tumulte militaire. Au bas de la lettre qui rend compte à Laurent le Magnifique de la marche des travaux du siège de Crémone, il lui demande si Médicis veut lui céder Pierro della Francesca pour décorer la chapelle de son temple de Rimini ; et, devant Sicune, où il presse le comte de Pittigliano enfermé dans Sorano, il décide avec Léon-Battista Alberti et Matteo du Pasti la forme à donner au dôme de San-Francisco.

Magnifique dans l’hospitalité, il aimait les arts, les sciences, la philosophie. Partout où un artiste s’élevait, il cherchait à se l’attacher, et il fallut toute sa turbulence, son insatiable ambition, et l’esprit d’aventure dont il était doué, pour que cette petite cour de Rimini, vers laquelle on tournait les yeux comme vers celles d’Urbin et de Ferrare, n’ait pas jeté un éclat plus vif encore. Le pape Pie II, qui n’était autre qu’Æneas-Sylvius Piccolomini, fut son plus mortel ennemi ; cependant on lit dans cet historien : « Sigismond connaissait toute l’antiquité, était très avancé en philosophie et semblait né pour tout ce qu’il entreprenait. » Burckhardt, dans la Civilisation de la Renaissance en Italie, va plus loin encore : « Audace, impiété, talent militaire, culture intellectuelle très raffinée, tant de qualités et de dons se trouvèrent réunis en un seul homme. » Ses proclamations à ses troupes sont dignes de l’antiquité ; l’amour le fit poète, et ses Carmina italica étaient devenus populaires dans les Romagnes. Dans le domaine des arts, il sut deviner dans Léon-Battista Alberti un précurseur de Léonard et un émule du plus grand des réformateurs de l’architecture, Brunellesco[1]. A l’égard des humanistes, des savans et des artistes, il montrait une courtoisie et une aménité qu’on réserve d’ordinaire aux femmes et aux reines. Un jour, il apprend qu’Antonio Campano est entré à Rimini, se rendant auprès de Carlo Forte-Braccio pour lui offrir la biographie de son

  1. Il va sans dire que chacun des faits résumés en traits rapides dans ce portrait que nous traçons de Sigismond est prouvé par les documens. Le fait est extraordinaire de l’appel des Turcs en Italie, que je crois tout à fait nouveau, ressort d’une note secrète de la propre main d’Alessandro Sforza, qu’il transmet à son ambassadeur à Naples : cette note est aux archives d’état de Milan. Le fait de l’invention de la bombe par Sigismond est indéniable ; il est admis par Promis dans ses études sur Francesco di Giorgio : Traité d’architecture militaire, et Roberto Valturio, dans son de Re militari, que Léonard de Vinci a annoté, lui attribue l’invention en ces termes : « Inventum est quoque machinæ hujusce tuum, Sigismundo Pandulphe, qua pilæ œneœ tormentarii pulveris plenœ cum fungi aridi fomite urentis émittuntur. » (Liv. X, p. 267.)