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relevant avec soin les obstacles que la nature et ses ennemis pouvaient lui opposer. Ils étaient redoutables, plus redoutables encore que les chefs chiliens ne le supposaient. Deux batteries à fleur d’eau défendaient l’entrée de la rade ; en arrière, les collines qui dominaient la ville n’offraient que des pentes escarpées dont les crêtes servaient de retranchemens aux troupes boliviennes ; en troisième ligne enfin et, comme les précédentes, parallèle à la mer, la voie ferrée qui relie Pisagua à l’intérieur avait été convertie en abri pour la réserve et protégée par des pièces d’artillerie.

Sans hésiter on décida l’attaque. Les bâtimens de guerre reçurent l’ordre d’ouvrir le feu contre les batteries de terre, pendant que deux forts détachemens chiliens tenteraient de débarquer au nord de la ville pour la prendre à revers. A sept heures du matin, le feu commença. Le Cochrane canonnait le port et le fort du sud ; le Covadonga et le Magallanes s’attaquaient au fort du nord, et le O’Higgins couvrait de ses projectiles les points où devait s’effectuer le débarquement. En moins d’une heure, l’escadre chilienne réussit à éteindre les batteries ennemies, et les détachemens furent lancés à l’attaque sous un feu de mousqueterie vigoureusement soutenu. Protégées par les rochers, les maisons, la gare du chemin de fer, les wagons, les sacs de charbon et de salpêtre accumulés, les troupes boliviennes tenaient bon et frappaient à découvert leurs ennemis, ballottés par les vagues dans leurs chaloupes et avançant lentement sur une mer soulevée. Encouragés par cette résistance, les artilleurs péruviens reprirent courage et coururent à leurs pièces. Une seule colonne chilienne avait pris pied à terre, mais ses munitions s’épuisaient et les bâtimens de l’escadre ne pouvaient la protéger de leurs feux sans risquer de l’atteindre. À ce moment, la défaite des Chiliens semblait inévitable, quand par une manœuvre hardie, le O’Higgins, se portant en avant, couvrit les hauteurs de ses feux et permit à la colonne épuisée de s’abriter sous les rochers que couronnaient ses ennemis et de reprendre haleine. Puis, entraînés par leurs chefs, ne voyant de salut que dans un suprême effort, les Chiliens se lancèrent à l’assaut de ces pentes escarpées et franchirent les parapets, sur lesquels l’escadre, cessant son feu, vit enfin flotter son drapeau.

La lutte avait duré cinq heures. Les pentes étaient couvertes de morts et de blessés. La colonne d’attaque, composée de deux mille hommes, en avait perdu trois cent cinquante. les Péruviens et les Boliviens comptaient un plus grand nombre de tués, blessés et prisonniers. L’escadre recueillit ces derniers, qui furent transportés à Valparaiso, et ramena des troupes fraîches pour combler les vides faits dans les rangs.

Si les défaites subies par la marine péruvienne ne lui permettaient