nous le spectacle d’une crise morale ; l’une et l’autre de ces deux scènes aurait droit de s’intituler : une Tempête sous un crâne. — C’est justement la petite Daubray, la Cosette des Misérables, qui joue ce rôle de Jacques en merveilleuse enfant ; M. Lacressonnière, dans le rôle du père, a des accents d’une vraisemblance, hélas ! trop navrante ; M. Courtes, un bon comique, représente le témoin du crime en scrupuleux comédien, et M. Cosset, par son tact, soutient le personnage du juge. Mais croyez bien que, si tous ces acteurs nous paraissent plus touchans qu’à l’ordinaire et plus véritablement dignes de ce titre d’artistes, c’est que cette pièce, avec ses gros mots, contient plus de psychologie que bien des mélodrames en phrases pompeuses, et qu’elle est plus voisine de notre humanité.
La psychologie avec le style, voilà les puissances auxquelles, pour la dernière fois de cette année, je conjure les auteurs dramatiques de sacrifier l’intrigue ; et je les menace de répéter ma prière l’an prochain, dans un mois. Les talens ne manquent pas, mais le courage et la constance. N’est-ce pas pitié que des hommes tels que MM. Gondinet et Blum, l’un l’auteur du Panache, et l’autre de Rose Michel, ajoutent à un premier acte de comédie malicieuse trois tableaux comme les derniers de cette Soirée parisienne qui a échoué si tristement, le mois passé, aux Variétés ? N’est-ce pas dommage qu’un poète du talent de M. Armand Silvestre se contente de produire pour le théâtre une scène lyrique pleine de beaux vers, mais qui n’est qu’une scène lyrique, — cette Sapho que Mlle Rousseil et M. Silvain ont déclamée de leur mieux, l’autre après-midi, à la Gaîté ? M. Fourcaud, dans une remarquable étude qu’il vient de publier sur la danse française, avec ce titre : « Figures d’artistes. — Léontine Beaugrand, » et où, par parenthèse, il me paraît injuste au moins pour Mlle Rita Sangaili, M. Fourcaud cite l’opinion de M. Théodore de Banville, qu’un pas dansé doit être « l’image même d’une ode. » À ce compte, il se trouve, dans la Sapho de M. Silvestre, des stances qui forment un beau ballet de rimes. Est-ce donc assez et faut-il que des lettrés de ce prix n’abordent la scène qu’en de si rares et fugitives occasions ? Voici que les maîtres du théâtre leur font des avances : la conversion d’un chef tel que M. Sardou aux doctrines fondées par le génie classique donne raison à nos espérances et ne peut qu’animer les timides. J’estime que ceux-là doivent se risquer à faire acte d’auteurs dramatiques qui sont des écrivains, et bientôt peut-être un dramaturge s’osera se donner pour tel que s’il est homme de lettres.
LOUIS GANDERAX.