Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/715

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

dissimulez pas que vous avez besoin de gagner ma confiance ; je ne la donne jamais légèrement. Les paroles ne sauraient me suffire, il me faut des actes… » Voilà qui est parler ! Les vieux amiraux d’autrefois, les Duperré, les Rigault de Genouilly, les Bruat, l’amiral Jauréguiberry, qui n’a pas moins bien servi que M. le capitaine Gougeard, au Mans, tous ces hommes, qui ont été l’honneur de la flotte, auraient eu probablement un langage plus modeste, même avec des subordonnés. M. le ministre de la marine, pour un homme qui prétend que les monologues ne s’excusent que par la concision, parle décidément trop ; il fait trop de discours, trop d’ordres du jour. Il pense, il est vrai, être suffisamment à l’abri en invoquant le nom de celui qui l’a choisi, de « l’homme éminent dans lequel la France a mis depuis tant d’années ses plus chères espérances… » L’homme éminent n’en est déjà plus peut-être à trouver qu’il aurait mieux fait de laisser M. le capitaine Gougeard au conseil d’état, et, dans tous les cas, s’il n’a pas d’autre secours pour aller jusqu’au bout de la longue carrière que lui promet M. le ministre de la marine, il pourrait bien rester en chemin.

Le discernement a manqué à M. Gambetta dans le choix de son ministre de la marine ; il lui a manqué bien plus encore et d’une manière bien autrement grave, dans le choix du ministre de l’instruction publique, parce qu’ici il ne s’agit plus d’un service spécial, il s’agit de la politique même, tout au moins d’une partie essentielle de la politique du cabinet. Il n’y a pas bien longtemps encore que le nouveau chef de l’instruction publique, M. Paul Bert, avouait lui-même, dit-on, qu’il ne pouvait guère être ministre, qu’il était trop engagé par ses opinions sur les affaires religieuses, qu’il se sentait d’ailleurs trop peu maître de sa parole ou de ses passions, et qu’il ne ferait que compromettre M. Gambetta. Si M. Paul Bert pensait ainsi il y a quelques mois lorsqu’il pouvait se croire encore loin du pouvoir, il l’a oublié sans doute, ou il n’a pu résister à la tentation le jour où il a vu la porte du ministère s’ouvrir devant lui. M. Paul Bert est un savant éminent, et sa science n’a rien à faire ici. Ce qu’il y a de certain, c’est que l’homme politique en lui est aussi peu philosophe, c’est-à-dire aussi peu tolérant que possible, qu’il a toutes les ardeurs et les fanatismes d’un sectaire scientifique avec la verve libre et hardie d’un Bourguignon. M. Paul Bert chargé de diriger, de manier, de pétrir l’enseignement national, de le soumettre à ses expériences, de pousser la politique de M. Jules Ferry à ses dernières limites, c’était déjà beaucoup ; c’était assurément assez pour donner à l’administration nouvelle un caractère particulier de gravité. Qu’est-ce donc lorsqu’aujourd’hui, sans aucune raison plausible, par une fantaisie étrange ou par une sorte de bravade, on rend au nouveau ministre de l’instruction publique la direction des cultes ? A l’intérieur, où ils avaient été placés depuis quelques années, ils restaient sous l’autorité du nouveau ministre, M. Waldeck-Rousseau, qui