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Pourriez-vous encore ajouter quelque chose pour me faire concevoir comment la chair n’est que péché ? — Elle est tellement péché qu’elle est toute inclination et mouvement au péché et même à tout péché ; en sorte que, si le Saint-Esprit ne retenait notre âme et ne l’assistait des secours de sa grâce, elle serait emportée par les inclinations de la chair, qui tendent toutes au péché.

— Mon Dieu ! qu’est-ce donc que la chair ? — C’est l’effet du péché, c’est le principe du péché…

— Si cela est, pourquoi ne tombez-vous pas à toute heure dans le péché ? — C’est la miséricorde de Dieu qui nous en empêche…

— Je suis donc obligé à Dieu de ce que je ne commets pas tous les péchés du monde ? — Oui,.. c’est le sentiment ordinaire des saints, parce que la chair est entraînée par un tel poids vers le péché que Dieu seul peut l’empêcher d’y tomber.

— Mais encore voudriez-vous bien m’en dire quelque chose ? — Ce que je puis vous en dire est qu’il n’y a aucune sorte de péché qui puisse se concevoir, il n’y a ni imperfection, ni désordre, il n’y a point d’erreur ni de dérèglement dont la chair ne soit remplie, tellement qu’il n’y a sorte de légèreté, ni de folie, ni de sottise que la chair ne soit capable de commettre à toute heure.

— Eh quoi ! je serais fou et je ferais le fou par les rues et par les compagnies sans le secours de Dieu ? C’est peu que cela, qui ne regarde que l’honnêteté civile ; mais il faut que vous sachiez que, sans la grâce de Dieu, sans la vertu de son esprit, il n’y a aucune espèce d’impureté, de vilenie, d’infamie, d’ivrognerie, de blasphème, en un mot, il n’y a sorte de péché auquel l’homme ne s’abandonnât.

— La chair est donc bien corrompue ? — Vous le voyez.

— Je ne m’étonne plus si vous dites qu’il faut haïr sa chair, que l’on doit avoir horreur de soi-même, et que l’homme, dans son état actuel doit être maudit, calomnié, persécuté ; non, je n’en suis plus surpris En vérité, il n’y a aucune sorte de maux et de malheurs qui ne doivent tomber sur lui à cause de sa chair. — Vous avez raison ; toute la haine, toute la malédiction, la persécution qui tombent sur le démon, doivent tomber sur la chair et sur tous ses mouvemens.

— Il n’y a donc aucune espèce d’injure qu’on ne doive supporter et qu’on ne doive croire vous être bien dues ? — Non.

— Les mépris, les injures, les calomnies ne doivent donc point nous troubler ? — Non. Il faut faire comme ce saint qui autrefois fut conduit au supplice pour un crime qu’il n’avait point commis et dont il ne voulut pas se justifier, disant en lui-même qu’il l’aurait commis, et de bien plus grands encore, si Dieu ne l’en eût empêché.

— Les hommes, les anges et Dieu même devraient donc nous persécuter sans cesse ? — Oui, cela devrait être ainsi.

— Quoi ! les pécheurs devraient donc être pauvres et dépouillés de