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prétendait que le pape ne put rien répondre à ses argumens. Il diminuait, il est vrai, sa victoire en avouant que personne à Rome ne le prit au sérieux et qu’on rit beaucoup au Vatican de l’uomo antediluviano : c’était lui que l’entourage du pape appelait ainsi. On eût mieux fait de l’écouter. — Vers 1840, tout cela changea. Les vieux d’avant la révolution étaient morts ; les jeunes passèrent presque tous à la thèse de l’infaillibilité papale ; mais il resta toujours une profonde différence entre ces ultramontains de la dernière heure et les hardis contempteurs de la scolastique et de l’église gallicane sortis de l’école de Lamennais. Saint-Sulpice n’a jamais trouvé sûr de faire litière à ce point des règles établies.

On ne saurait nier qu’il ne se mêlât à tout cela une certaine antipathie contre le talent et quelque chose de la routine de scolastiques gênés dans leurs vieilles thèses par d’importuns novateurs. Mais il y avait aussi dans la règle suivie par ces prudens directeurs un tact pratique très sûr. Ils voyaient le danger d’être plus royalistes que le roi et savaient qu’on passe facilement d’un excès à l’autre. Des hommes moins détachés qu’eux de tout amour-propre auraient triomphé le jour où le maître de ces brillans paradoxes, Lamennais, qui les avait presque argués d’hérésie et de froideur pour le saint-siège, devint lui-même hérétique et se mit à traiter l’église de Rome de tombeau des âmes et de mère d’erreurs. Ce qui est vieux doit rester vieux ; comme tel, il est respectable ; rien de plus choquant que de voir l’homme d’un autre âge dissimuler ses allures et prendre les modes des jeunes gens.

C’est par ce franc aveu des choses que Saint-Sulpice représente en religion quelque chose de tout à fait honnête. A Saint-Sulpice, nulle atténuation des dogmes de l’Écriture n’était admise ; les pères, les conciles et les docteurs y paraissaient les sources du christianisme. On n’y prouvait pas la divinité de Jésus-Christ par Mahomet ou par la bataille de Marengo. Ces pantalonnades théologiques, qu’on faisait applaudir à Notre-Dame à force d’aplomb et d’éloquence, n’avaient aucun succès auprès de ces sérieux chrétiens. Ils ne pensaient pas que le dogme eût besoin d’être atténué, déguisé, costumé à la jeune France. Ils manquaient de critique en s’imaginant que le catholicisme des théologiens a été la religion même de Jésus et des apôtres ; mais ils n’inventaient pas pour les gens du monde un christianisme revu et adapté à leurs idées. Voilà pourquoi l’étude (dirai-je la réforme ?) sérieuse du christianisme viendra bien plutôt de Saint-Sulpice que de directions comme celle de M. Lacordaire ou de M. Gratry, à plus forte raison de M. Dupanloup, où tout est adouci, faussé, émoussé, où l’on ne présente jamais le christianisme tel qu’il résulte du concile de Trente et du concile du Vatican, mais un christianisme désossé en quelque sorte, sans charpente, privé de