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de ce qui est son essence. Les conversions opérées par les prédications de cette sorte ne sont bonnes ni pour la religion ni pour l’esprit humain. On croit avoir fait des chrétiens ; on a fait des esprits faux, des politiques manques. Malheur au vague ! mieux vaut le faux. « La vérité, comme a très bien dit Bacon, sort plutôt de l’erreur que de la confusion. »

Ainsi, au milieu du pathos prétentieux qui a envahi de nos jours l’apologétique chrétienne, s’est conservée une école de solide doctrine, répudiant l’éclat, abhorrant le succès. La modestie a toujours été le don particulier de la compagnie de Saint-Sulpice. Voilà pourquoi elle ne fait aucun cas de la littérature ; elle l’exclut presque, n’en veut pas dans son sein. La règle des sulpiciens est de ne rien publier que sous le voile de l’anonyme et d’écrire toujours du style le plus effacé, le plus éteint. Ils voient à merveille la vanité et les inconvéniens du talent, et ils s’interdisent d’en avoir. Un mot les caractérise, la médiocrité ; mais c’est une médiocrité voulue, systématique. Ils font exprès d’être médiocres. « Mariage de la mort et du vide, » disait Michelet de l’alliance des jésuites et des sulpiciens. Sans doute ; mais Michelet n’a pas assez vu que ce vide est ici aimé pour lui-même. Il devient alors quelque chose de touchant ; on se défend de penser de peur de penser mal. L’erreur littéraire paraît à ces pieux maîtres la plus dangereuse des erreurs, et c’est justement pour cela qu’ils excellent dans la vraie manière d’écrire. Il n’y a plus que Saint-Sulpice où l’on écrive comme à Port-Royal, c’est-à-dire avec cet oubli total de la forme qui est la preuve de la sincérité. Pas un moment, ces maîtres excellens ne songeaient que parmi leurs élèves dût se trouver un écrivain ou un orateur. Le principe qu’ils prêchaient le plus était de ne jamais faire parler de soi et, si l’on a quelque chose à dire, de le dire simplement et comme en se cachant.

Vous en parliez bien à votre aise, chers maîtres, et avec cette complète ignorance du monde qui vous fait tant d’honneur. Mais si vous saviez à quel point le monde encourage peu la modestie, vous verriez combien la littérature aurait de la peine à s’accommoder de vos principes. Que serait-il arrivé si M. de Chateaubriand avait été modeste ? Vous aviez raison d’être sévères pour les procédés charlatanesques d’une théologie aux abois, cherchant les applaudissemens par des procédés tout mondains. Mais, hélas ! votre théologie à vous, qui est-ce qui en parle ? Elle n’a qu’un défaut, c’est qu’elle est morte. Vos principes littéraires ressemblaient à la Rhétorique de Chrysippe, dont Cicéron disait qu’elle était excellente pour apprendre à se taire. Dès qu’on parle ou qu’on écrit, on cherche fatalement le succès. L’essentiel est de n’y faire aucun sacrifice, et c’est là ce que