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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/810

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pu être les généraux du parlement, Changarnier, Bedeau, Lamoricière, Cavaignac. Frappé dans ses idées, dans sa position, traité en outlaw après avoir été le chef des conseils de son pays, conduit à la frontière comme un conspirateur ou comme un censeur importun, M. Thiers n’avait plus qu’à attendre à l’étranger la fin de cette crise nouvelle des destinées françaises. Ces mois d’exil, il les passait en Belgique, en Angleterre ; il employait ses loisirs forcés à revoir une fois de plus l’Italie, suivant de loin des événemens auxquels il avait cessé d’être mêlé, impatient de retrouver une place, fût-ce la place du plus simple des citoyens, au foyer de la patrie. C’était pour lui comme une transition de la vie militante de tribune et d’action qu’il avait si longtemps menée à la vie de retraite et de silence en face d’un régime qui entreprenait de refouler les instincts libéraux de la France, de refaire une autocratie césarienne avec ses fantaisies, ses ambitions, ses servitudes et ses fatalités.

Au moment où M. Thiers, voyant cesser son exil par un acte de bon plaisir, comme il avait été « éloigné » par le bon plaisir, rentrait en France vers l’automne de 1852, tout avait complètement changé de face. L’empire n’était plus un pressentiment ou une menace comme à ces premiers jours de 1851, où le brillant chef parlementaire le montrait en perspective à une assemblée inquiète, divisée et impuissante. Maintenant il était « fait ; » il avait eu en quelques mois le temps de s’établir avec sa constitution, ses lois et ses emblèmes, d’abattre ou de disperser ses ennemis, de créer le silence et la soumission autour de lui, d’organiser sa domination. À cette résurrection impériale plus qu’à demi accomplie par le 2 décembre, définitivement achevée avant la fin de 1852, rien ne manquait, ni les ratifications populaires ni même une certaine faveur de l’Europe, qui, en craignant un peu le réveil des souvenirs guerriers, s’intéressait néanmoins à une si décisive victoire de réaction. Tout réussissait au nouveau césar dompteur des révolutions, couronné sous le titre de Napoléon III, et dans cette carrière qui s’ouvrait pour quelques années, il pouvait, il devait y avoir assurément des jours d’éclat, des apparences de prospérité, ce qu’on peut appeler les bonheurs du règne. Le second empire, avec la popularité d’un nom au prestige encore intact, avait et a eu longtemps la force, les ressources d’un pouvoir illimité dans un pays prompt à toutes les métamorphoses. Sa faiblesse était de se fonder en dehors des classes éclairées et intelligentes de la nation, qu’il offensait dans leurs instincts, qu’il froissait ou qu’il s’aliénait par son mépris du droit, par des actes de froide iniquité, comme la spoliation des princes d’Orléans, par tout un organisme de gouvernement où il n’y avait plus de place pour une parole libre.