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dépenser 50 millions en Lombardie pour se retirer presque aussitôt par une sorte d’abdication devant l’imprévu. Puisque la France prenait les armes pour la cause de l’indépendance italienne, c’était bien le moins qu’elle eût son opinion sur l’organisation de cette indépendance. Elle avait le droit de fixer le caractère et les limites de son action, de dire ce qu’elle acceptait et ce qu’elle ne pouvait permettre. — De même dans les affaires allemandes, qui suivaient de près le mouvement italien, qui en étaient le grand et périlleux prolongement. Si l’Allemagne se sentait agitée de désirs qui n’avaient d’ailleurs rien de nouveau, si elle aspirait à des réformes dans son organisation intérieure, à une certaine concentration de vie nationale, il y avait dans ces vœux, dans ces efforts, une part légitime. La France ne songeait point à troubler ce travail, qu’elle aurait vu plutôt au contraire avec sympathie, comme elle voyait alors tous les mouvemens libéraux ou nationaux parmi les peuples ; mais ici encore, et à plus forte raison, il est évident qu’il y avait des limites tracées par la nature des choses, par les conditions de la société européenne. L’Allemagne, ou, pour mieux dire, la Prusse pouvait avoir ses ambitions, elle n’était pas libre de les satisfaire au mépris de la foi publique et de la paix du monde, en bouleversant à son gré les relations générales. A chaque pas, les prétendus droits qu’elle invoquait rencontraient d’autres droits et d’autres intérêts, le droit de l’Europe, l’intérêt de l’équilibre universel dont la constitution germanique était un des élémens, l’intérêt de la France menacée dans sa sécurité. La France, sans être une ennemie, sans manquer de générosité, avait bien le droit de prendre ses garanties, de faire ses conditions.

Tenir compte de ce qu’il y avait de légitime dans les revendications nationales, dans les mouvemens des peuples, en sachant arrêter à propos l’excès des ambitions ou des chimères, essayer de concilier les droits nouveaux avec le droit ancien dans des transactions successives, c’était une politique, et cette politique, après tout, elle était possible, elle pouvait être efficace à plus d’un moment. Elle était possible après les premières victoires d’Italie, lorsque rien n’était encore compromis, quand bien des Italiens eux-mêmes auraient hésité à risquer ce que la guerre leur assurait pour vouloir tout conquérir d’un seul coup. Elle était possible en 1864-1865, au moment où l’Europe inquiète ne demandait pas mieux que de s’unir pour empêcher la Prusse et l’Autriche d’accabler jusqu’au bout le malheureux Danemark. Elle était possible encore dans l’hiver de 1866, lorsqu’un mot aurait suffi pour faire tomber les armes des mains des deux puissances germaniques près de passer d’une alliance spoliatrice à cette guerre intestine de l’Allemagne dont l’issue en aucun cas ne pouvait être heureuse pour la France. A tous