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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/83

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habilement entretenues par les correspondances de Berlin, ni le roi de Hollande, ni son gouvernement ne se décideraient jamais à nous abandonner le grand-duché, et voulait-il pénétré de cette conviction, nous laisser croire jusqu’au bout que l’insuccès de nos démarches était indépendant de sa bonne volonté ? S’était-il vu débordé à la dernière heure, comme il l’affirmait à M. Benedetti, par les agitations du parlement, et ces agitations, ainsi que les violences de la presse, étaient-elles spontanées ? ne les avait-il pas provoquées et surexcitées pour pouvoir arrêter la signature imminente et imprévue du traité de cession ? Sa popularité, son maintien au pouvoir étaient-ils en question et l’influence du parti militaire l’avait-elle réellement emporté dans l’esprit du roi ? Ou bien nous avait-il enlacés dans une trame savamment ourdie et ne devions-nous sortir de ses inextricables réseaux que par un coup de désespoir qui nous eût livrés à ses armées, toutes prêtes à envahir notre sol ? On pouvait se demander également si le vice déforme qui s’était révélé dans le traité de cession, au moment de sa signature, était fortuit, et si la diplomatie prussienne n’avait pas payé le recul du gouvernement hollandais par la garantie du Limbourg. Toutes ces questions, qu’il était permis de se poser, témoignaient de la haute idée qu’on se faisait de l’habileté du ministre prussien et du peu de confiance qu’inspirait la correction de ses procédés. L’histoire a beau disposer des documens les plus intimes et se faire de l’impartialité un devoir sacré, elle n’en reste pas moins vouée à l’impuissance dès qu’elle veut, suivant l’expression de Leibniz, « connaître le pourquoi du pourquoi. » Les mobiles secrets, les causes psychologiques sont parfois si multiples qu’elles déroutent les investigations les plus savantes et le diagnostic le plus exercé.

Le cadre si modeste d’abord dans lequel se renfermait l’affaire du Luxembourg prenait tout à coup de grandes proportions. La négociation s’imposait aux préoccupations de toutes les puissances ; elle pouvait devenir, comme l’avaient été les duchés de l’Elbe, « l’allumette destinée à mettre le feu à l’Europe. » L’intimité des rapports entre la cour de Prusse et celle de Saint-Pétersbourg permettait de prévoir que les complications sur le Rhin s’étendraient à l’Orient. Aussi, en présence du danger, n’était-ce plus qu’à coups de télégraphe que les ambassadeurs et les gouvernemens échangeaient leurs idées. Les dépêches, comme les éclairs qui précèdent les gros temps, se succédaient rapides, inquiètes, menaçantes. Elles témoignaient des anxiétés que l’on éprouvait à Paris et des passions qui se manifestaient à Berlin. Elles montraient un gouvernement réveillé en sursaut, se demandant s’il n’était pas victime d’un piège et