parlait en législateur, en homme d’état, en politique persuadé qu’on n’entrait pas impunément en collision avec les croyances religieuses, que le devoir d’un vrai gouvernement était de respecter tous les cultes dans leur principe, « les protestans dans leur principe, qui est le libre examen, les catholiques dans leur principe, qui est l’unité de la foi » représentée par le pontife de Rome.
Vainement on lui objectait qu’on cédait à la force des choses, que le droit des peuples dominait tout, qu’on ne pouvait pas, après avoir délivré l’Italie, l’arrêter indéfiniment sur le chemin de Rome : M. Thiers répliquait avec impétuosité que cette force des choses, on l’avait faite et on la faisait chaque jour, que la France, pour combler les espérances italiennes, s’exposait à prendre, à garder seule devant le monde la responsabilité d’une crise religieuse destinée à « désoler » les catholiques, à violer en eux la liberté de conscience. « Est-il vrai, s’écriait-il, que depuis que nous sommes entrés en Italie tout s’y fasse par la France ? .. Est-il vrai que le péril du pape, que son salut ont été jusqu’ici notre ouvrage ? .. Est-il vrai, oui ou non, que son sort soit dans nos mains, qu’il dépende absolument de nous ? Non-seulement vous le croyez, mais le monde entier le sait et le croit. Nous sommes donc responsables… en bien ! si cela est vrai, je dis que vous êtes dans le cas d’une atteinte à la liberté de conscience… » On n’aurait été, selon lui, « plus ou moins excusable » que s’il y avait eu un intérêt pour la grandeur française ou un intérêt pour nos principes à laisser tomber la papauté. — L’intérêt national ! Est-ce que la France, pour sa grandeur, pour son influence dans le monde, n’était pas la première intéressée à garder la vieille clientèle catholique, comme la Russie avait sa clientèle orthodoxe en Prient, comme l’Angleterre a toujours eu sa clientèle protestante ? L’intérêt de nos principes ! A ceux qui prétendaient que l’église était l’ennemie de nos principes, de la société nouvelle, de la liberté de la pensée humaine, M. Thiers répondait par le tableau de tout ce que la civilisation catholique avait produit de génies, de tout ce qui avait été accompli de réformes depuis un demi-siècle, et il ajoutait d’un ton piquant que le « catholicisme n’avait jamais empêché de penser que ceux qui n’étaient pas faits pour penser. » Je ne fais que dégager l’esprit de ces vives et pressantes démonstrations qui sont devenues de l’histoire, mais le plus grand des griefs, pour M. Thiers, c’était que les affaires d’Italie préparaient les affaires d’Allemagne. « Pour moi, disait-il, l’un de mes griefs les plus grands, c’est que l’unité italienne est destinée à être la mère de l’unité allemande… Ce que vous avez laissé faire en Italie peut être fait partout, et ce n’est pas seulement pour le pape que je réclame, c’est pour tous les petits états de l’Europe… »
Là était le nœud, le redoutable nœud des affaires du temps.