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Europe un parti puissant, qui tranquillisera les esprits et qui vous assurera encore quelques beaux jours. Le nombre de ces jours, je ne saurais le dire, car l’avenir est assez obscur pour qu’on ne puisse pas les compter ; mais je dis que là, et là seulement, se trouve la bonne politique… » Voilà sa pensée incessante, avouée, importune comme la sagesse qui a eu raison — et qui pourrait encore avoir raison dans ses craintes !

Tous les vœux de M. Thiers dans cette phase nouvelle étaient pour la paix, comme tous ses efforts à l’intérieur tendaient à presser le mouvement libéral, à aiguillonner le gouvernement, à lui montrer qu’il était lui-même intéressé à ne pas s’arrêter, à ne pas laisser le pays dans une incertitude agitée. Il ne désirait ni révolution ni guerre. Il ne parlait nullement le langage d’un factieux, et, en revendiquant ce qu’il appelait toujours les « libertés nécessaires, » il disait nettement : « Si l’on nous accorde ces libertés, notre devoir à tous, je le proclame en honnête homme, notre devoir est de les accepter loyalement, sans arrière-pensée… » Mais en même temps il mettait tout son feu à démontrer qu’il fallait se hâter, qu’il n’y avait plus un moment à perdre, que, si le pays était impatient, il en avait le droite il ne demandait que son bien, — et, rattachant tout à la situation générale, il poursuivait avec autant de vivacité que de force : « Oh ! si la liberté n’était que le droit de critiquer et de blâmer, je dirais au pays : Prenez patience ! attendez ! Mais dans les circonstances où nous nous trouvons, la liberté est quelque chose de bien plus considérable, de bien plus pressante Regardez le spectacle du monde aujourd’hui ; regardez autour de vous, en Italie, en Allemagne, en Orient ; voyez le monde entier : fût-il jamais plus inquiet et plus inquiétant ? A qui s’en prendre ? Qui l’a fait tel qu’il est ? .. Quel parti prendra la France ? .. Oui, il faut la paix ; il faut que la France n’y renonce que si des entreprises intolérables l’obligent à tirer l’épée, et si ces entreprises justifient la grande résolution de la guerre, qu’elle ait le monde pour témoin, pour allié, pour auxiliaire peut-être… Cette résolution immense, à qui appartient-il de la prendre ? A elle ou à d’autres ? C’est à elle seule ! Dans cette situation, savez-vous ce que signifie la liberté ? La liberté signifie ceci, que la France ne s’éveillera pas un malin surprise par l’ordre donné à ses enfans de courir à la frontière pour y verser tout leur sang… » En sorte que la liberté apparaissait dans ces discours comme un droit et comme une garantie contre toutes les aventures.

Redresser la politique extérieure, organiser les forces de la France sans aller au-devant des conflits, réclamer les « libertés nécessaires » sans mettre en question l’institution impériale, c’était le système de M. Thiers, et à un personnage de l’empire qui lui demandait ce qu’il représentait, au nom de quoi il parlait, il avait