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avec l’Allemagne en laissant la France sous le coup d’un échec pénible, d’une humiliation inutile. De sorte que, par une redoutable coïncidence, l’empire donnait des armes contre lui, stimulait l’opinion, étendait les moyens de discussion dans la presse comme dans le parlement, au moment même où il devenait plus vulnérable par une mésaventure nouvelle. On ne réussissait à rien. L’empire ne faisait que s’engager un peu plus dans cette voie où il semblait toujours flotter entre la poursuite des succès extérieurs et les velléités libérales, où il restait livré à une sorte de fatalité qui allait bientôt le conduire jusqu’à réformer sa constitution tout entière sans conviction et jusqu’à faire la guerre sans l’avoir peut-être voulue.

Plus d’une fois, à mesure que tout se compliquait dans cette phase étrange du régime impérial, M. Thiers se sentait ramené au combat, et il y revenait avec l’autorité d’un homme dont les événemens justifiaient la prévoyance. Il y revenait sans se lasser, insistant plus que jamais sur les deux points où la lutte restait le plus vivement engagée, décrivant en traits saisissans tout ce qu’il y avait de menaçant pour l’Europe, pour la France, dans la situation créée par la dernière guerre, dans l’agrandissement soudain d’une puissance pleine d’ambition et de force, qui ne déguisait pas son dessein d’absorber l’Allemagne. Il poussait le cri d’alarme un peu ardemment, j’en conviens, et il ne s’en défendait pas lui-même. Est-ce à dire qu’il voulût exciter les passions nationales, pour entraîner la France dans des conflits où elle pourrait reconquérir son ascendant ? Non certes, il ne voulait pas qu’on rouvrît la guerre après coup ; il ne proposait pas de réagir contre les événemens accomplis, contre ce qui avait été fait en Allemagne. Il combattait surtout un système qui aurait consisté, pour la France, à entrer en complicité avec les ambitieux, à pratiquer cette politique qu’il qualifiait d’un mot familier : laisser les autres prendre ce qu’ils voudraient et prendre pour soi-même ! À ses yeux, un acte d’ambition de la France, — et, en parlant ainsi, il pensait à la Belgique, — un tel acte autoriserait la Prusse à achever ce qu’elle avait commencé, la Russie à reprendre sa marche en Orient : ce serait le signal du ravage du monde ! Le rôle que M. Thiers rêvait pour la France eût été de s’organiser pour la résistance, de s’armer pour ne pas laisser les bouleversemens aller plus loin, de rassurer les indépendances survivantes, de « se mettre à la tête des intérêts menacés, » en proclamant elle-même son désintéressement. Il ne croyait point impossible de rallier l’Angleterre, l’Autriche elle-même autour de ce principe qu’il ne fallait plus « ni prendre, ni laisser prendre, » — « et, poursuivait-il, quand vous aurez ensemble l’Angleterre, l’Autriche, la France, les petits états ralliés autour de ce principe conservateur de tous les états existans, vous aurez constitué en