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depuis six mois par bien des péripéties ; il venait d’avoir sa victoire, sa dangereuse victoire plébiscitaire du 8 mai. Ce triomphant plébiscite, il n’avait pas été sans doute conçu pour la guerre, il n’était pas la guerre ; il avait l’inconvénient de pouvoir la préparer par les infatuations napoléoniennes qu’il réveillait par les tentations qu’il pouvait donner. Pour le moment, cependant, tout était à la paix. On ne voyait que sérénité à l’horizon, selon le chef du cabinet, au 30 juin, et ce jour-là même, par une sorte d’ostentation pacifique, le ministre de la guerre, le maréchal Lebœuf, consentait à une diminution de dix mille hommes sur le contingent annuel de l’armée. Il se prêtait à une réduction de dix mille hommes, on lui demandait beaucoup plus.

Chose caractéristique ! seul peut-être, dans cette discussion dont les circonstances ont fait une scène préliminaire d’une terrible histoire, seul M. Thiers restait ferme dans ses idées, sans céder aux illusions des désarmemens, des diminutions d’effectifs. Il avait eu peu auparavant un entretien avec le maréchal Lebœuf qui était allé lui rendre visite pour le prier, au nom de l’empereur, de défendre le contingent, et il n’avait aucune peine à promettre l’appui qu’on lui demandait, à soutenir ce qu’il considérait comme un intérêt national, ce qu’il mettait au-dessus de toutes les questions de parti, de ministère, même de dynastie. Il était toujours prêt pour cette cause, dût-il se séparer de ses amis de l’opposition qui en revenaient sans cesse à leur chimère de l’armement universel des citoyens pour remplacer les armées permanentes. Ce n’est point assurément qu’il fût animé de passions belliqueuses ou qu’il voulût se prêter à des fantaisies guerrières du gouvernement impérial. Il se prononçait ardemment pour la paix. Il convenait volontiers que pour l’instant tout le monde en Europe, — tout le monde, disait-il spirituellement, « sauf peut-être quelque exception, » — voulait la paix. Il ne supposait pas que le ministère pût avoir la coupable pensée de faire la guerre ; mais il ajoutait que, pour suivre avec fruit et honneur une politique de paix, la première condition était de rester forts, de proportionner notre état militaire à l’état militaire de l’Allemagne nouvelle, et il en disait assez pour laisser entendre que, dans sa pensée, la France était loin d’avoir des forces suffisantes, qu’on n’était pas même sur un « pied de paix » respectable. — « Savez-vous, ajoutait-il d’un accent qui imposait, savez-vous pourquoi, à Sadowa, on a assisté à un spectacle aussi imprévu, car il y avait bien peu de gens qui crussent à la victoire de la Prusse ; savez-vous pourquoi ? C’est parce que, par des raisons trop longues à développer ici, on n’était pas prêt à Vienne et on l’était à Berlin depuis plusieurs années ; c’est parce qu’il y avait un homme