Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/840

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

profondément prévoyant qui avait préparé ses forces, et c’est par des raisons de ce genre que les empires grandissent ou périssent… » Il parlait ainsi le 30 juin 1870 ! Changez les noms, c’est l’histoire qui, à une semaine de distance, allait se rouvrir, se précipiter encore une fois, et qu’on pouvait appeler la fin d’un empire.

Qu’arrivait-il en effet ? En quelques jours tout avait changé. La candidature d’un prince de Hohenzollern à la couronne d’Espagne avait éclaté en Europe, presque à l’improviste, — au moins pour l’opinion universelle. La France impériale surprise se laissait emporter, débutait par des déclarations menaçantes, puis engageait fiévreusement avec la Prusse une de ces négociations ou un de ces dialogues qui laissent à peine une place à la conciliation, aux médiations utiles. Un instant, pendant quelques heures, les événemens semblaient s’arrêter par la renonciation du prince de Hohenzollern avec l’approbation du roi Guillaume : ils se déchaînaient presque aussitôt plus violemment devant l’Europe étonnée, déconcertée et impuissante. Du 6 au 15 juillet, le conflit avait eu le temps de naître, de se précipiter, de devenir irréparable, — et alors M. Thiers qui, le 30 juin, parlait pour le ministère, pour le contingent, M. Thiers cette fois se tournait contre une guerre d’irréflexion et d’impatience. Il ne se contredisait pas, il restait fidèle à sa politique. Il avait deux raisons dans son opposition. Si la candidature du prince de Hohenzollern avait été maintenue, il eût hésité ou plutôt il n’eût pas hésité devant un défi prémédité que la France ne pouvait se dispenser de relever ; mais la candidature Hohenzollern avait été un instant retirée, la Prusse avait subi une espèce d’échec en se voyant obligée de reculer, et dès lors la guerre n’avait plus d’autre motif qu’une vaine susceptibilité ou quelque détail de forme dans une négociation conduite à coups de télégraphe. C’était trop peu pour son patriotisme prévoyant. — Il avait une autre raison, et c’est ici que son discours du 30 juin reprenait tout son sens. Il restait persuadé qu’on cédait à la plus désastreuse illusion en répétant sans cesse qu’on ; était prêt. Il avait la conviction que la Prusse seule était prête, que la France ne l’était pas, qu’elle allait commencer la guerre avec des places à peine armées et un matériel ruiné par l’expédition du Mexique, avec des régimens de douze cents hommes, des réserves appelées en désordre et des mobiles sans instruction militaire. Cette raison avait encore plus de puissance que la première. Aussi, le jour où la question était définitivement portée devant le corps législatif, le 15 juillet, M. Thiers tentait-il un effort désespéré.

C’est assurément une des scènes les plus pathétiques de l’histoire du temps. « Je voyais, a dit depuis M. Thiers, un orage prêt à fondre sur nos têtes. J’aurais bravé la foudre, avec la certitude d’être écrasé plutôt que d’assister impassible à la faute qu’on allait