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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/87

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faire une arme de ses paroles. Un mot irréfléchi, un mouvement indigné, il n’en eût pas fallu davantage pour provoquer une rupture. Il sut se contenir et réserver à son gouvernement le temps de réfléchir et d’asseoir ses déterminations. M. Benedetti n’avait pas sollicité l’ambassade de Berlin ; ses amis la lui avaient imposée, et l’empereur l’y avait maintenu après Nikolsbourg. Il était dans sa destinée de représenter et de défendre une politique qui fatalement devait aboutir à des catastrophes. Peut-être a-t-il manqué parfois d’initiative, mais toujours il a su interpréter les instructions de son gouvernement de la façon la plus éclairée, la plus vigilante et la plus scrupuleuse. Il est des agens dont le renom est souvent immérité ; il en est dont les services restent ignorés ; il en est qui sont victimes du devoir.

M. Benedetti revit le président du conseil le lendemain, à dix heures du matin, au moment où il sortait du ministère des affaires étrangères pour se rendre au parlement.

Le temps pressait ; c’est en arpentant la Wilhelmstrasse qu’ils échangèrent de rapides et de fiévreuses explications.

« Je vais déclarer à la chambre, dit M. de Bismarck, que des négociations sont ouvertes à La Haye, qu’un traité peut être signé d’un instant à l’autre ; mais je ne pourrai affirmer que le fait est accompli sans m’exposer à être démenti par le gouvernement hollandais. M’autorisez-vous à ajouter que l’ambassadeur de France a été chargé de m’en instruire ? Si vous m’y autorisez, je me trouverai, je ne saurais vous le dissimuler, en face d’une manifestation de la dernière gravité, et demain peut-être la direction des événemens m’aura échappé des mains. »

M. Benedetti refusa d’assumer une pareille responsabilité. Il dit, en tempérant la portée de ses instructions, que des lettres étaient échangées entre le roi des Pays-Bas et l’empereur, que ces lettres impliquaient sans doute des engagemens réciproques sur lesquels il était difficile de revenir et que, dès lors, la cession du Luxembourg à la France pouvait, à la rigueur, être considérée comme un fait consommé, bien qu’il n’eût pas encore été procédé à la signature d’un acte conventionnel. Il n’en dit pas davantage, laissant au président du conseil le soin de faire de ces indications tel usage qu’il jugerait convenable.

« Ce que vous venez de me dire, répliqua M. de Bismarck, ne me suffit pas. Il faut que pour le moins vous me permettiez d’ajouter à ma déclaration qu’elle m’a été notifiée par l’ambassadeur de France. »

M. Benedetti s’y refusa catégoriquement. La manœuvre du ministre prussien s’était révélée ; il cherchait à dégager sa