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de Luxembourg signalant des manifestations hostiles à la Prusse, qui se traduisaient par des cris de : « Vive l’empereur Napoléon ! » et par des insultes à la garnison.

Ce n’était pas tout ; M. de Bismarck ne devait s’attendre ni à la communication directe du roi de Hollande ni à une conclusion immédiate et encore moins à la publicité regrettable donnée à nos négociations. Toutes ces circonstances lui créaient, par notre fait, des difficultés inextricables. Le ministre prussien renversait encore une fois les rôles. Il prenait l’offensive et nous accablait des reproches que nous étions en droit de lui adresser. Il se plaignait à la fois de nos lenteurs et de nos précipitations, de notre silence et de nos indiscrétions. Il oubliait que M. Benedetli l’avait tenu au courant de toutes nos démarches à La Haye, et qu’après l’indiscrétion du roi des Pays-Bas, provoquée par des craintes entretenues sous main, loin de nous demander de suspendre les négociations, il nous avait conseillé au contraire de les hâter. Mais M. de Bismarck ne se souciait pas d’être convaincu. Il en revenait toujours à dire que nous avions manqué au programme qu’il nous avait tracé et qu’il en était réduit aujourd’hui à de voir s’expliquer devant le parlement dans les plus mauvaises conditions, ayant à lutter contre les résistances du cabinet militaire et sous l’influence de l’opinion publique, chaque jour plus irritée. Il ajoutait que M. de Goltz ne cessait de prétendre que nous ferions la guerre à l’Allemagne et que, si telles n’étaient pas les dispositions de l’empereur, il y serait entraîné, malgré lui, par ceux qui la considéraient comme une nécessité de situation. Il prétendait que les renseignemens de l’ambassadeur du roi à Paris fournissaient aux généraux l’argument le plus puissant pour démontrer que, loin de livrer le Luxembourg à la France, il importait de s’y maintenir et de le conserver à la défense de l’Allemagne.

La situation de notre ambassadeur était émouvante. Elle témoignait des vicissitudes des empires et des retours stupéfians de la fortune. Le 11 juillet 1866, au quartier-général de Brûnn, il rappelait à M. de Bismarck qu’on n’était plus au temps de Frédéric II, où « ce qui était bon à prendre était bon à garder, » et il lui suffisait d’élever la voix pour arrêter les armées victorieuses de la Prusse aux portes de Vienne. Aujourd’hui, à quelques mois de distance, c’était M. de Bismarck qui arrêtait brutalement la main de la diplomatie française au moment où, confiante en ses promesses, elle allait apposer sa signature sur le traité de cession du Luxembourg.

Les dépêches de Paris se succédaient sans relâche ; elles témoignaient de l’intention de l’empereur de ne pas reculer, elles faisaient en quelque sorte de M. Benedetti l’arbitre de la paix et de la guerre. Il se trouvait en face d’un adversaire dangereux, prêt à se