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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/914

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vainqueurs que les paysans labouraient les terres ou élevaient d’innombrables troupeaux. Quand des bandes de Turcs armés faisaient inopinément irruption dans un village serbe, il fallait leur livrer des femmes, les plus jeunes, les plus pures. Un aga, celui de Roudnich, surnommé « le Taureau, » est resté célèbre par ses débauches. Accompagné d’une suite nombreuse, ce fonctionnaire visitait chaque jour un village nouveau. A son arrivée, les habitans, hommes, femmes et filles, avaient ordre de se réunir sur la place publique. Après examen, trois des plus belles vierges étaient conduites par des soldats dans la maison qui servait de résidence au terrible aga. Dès ce moment, le village recevait l’ordre de danser et de chanter pendant toute la durée de l’orgie. On se doute bien que les serviteurs ne manquaient pas d’imiter leur maître. Si des pères, des frères, des fiancés, osaient, exaspérés, se plaindre de ces attentats, le supplice du pal leur était appliqué. D’autres, conduits à Belgrade, jetés dans la fameuse prison de Nebvicha, y périssaient dans les privations et les tortures. Peu de ces infortunés sortirent vivans des souterrains de cet horrible charnier, où, d’après les chansons populaires des Serbes, « on avait de l’eau jusqu’aux genoux, des entassemens d’os humains jusqu’aux épaules, et où les serpens pullulaient. »

Fréquemment, des Serbes indignés de voir outrager leurs femmes ou leurs fiancées, saisissaient dans un accès de rage une cognée de bûcheron, fendaient la tête aux musulmans. S’emparant des armes de ceux qui tombaient ainsi sous leurs coups, ils s’enfuyaient dans les forêts, où ils trouvaient d’autres fugitifs comme eux et n’ayant qu’un sentiment, la haine du Turc. Les fuyards étaient dès lors appelés haïdouks ou brigands, mais brigands respectés comme des héros par les populations opprimées. Leur règle, strictement observée, mérite d’être connue. La voici dans son énergique simplicité : « 1° le devoir naturel, la mission commune des haïdouks, est la poursuite des oppresseurs de la patrie, de la religion, de ce qui est serbe. — 2° Ils doivent mourir plutôt que de se rendre aux Turcs ; s’ils sont surpris et faits prisonniers, ils doivent expirer sur le pal sans proférer de cris. — 3° Poursuivre les oppresseurs, sans repos, gagner seulement pour vivre et vivre librement dans la probité, la bravoure, tel est l’esprit des haïdouks. — 4° Les haïdouks agissent chacun pour tous et tous pour chacun. — 5° Conséquemment, il est du devoir de tout haïdouk de conserver le souvenir de leurs camarades tués, de les venger, serait-ce même au neuvième degré, sur les descendans de l’auteur du crime. — 6° Chaque groupe a son chef auquel les membres de ce groupe doivent obéissance. — 7° Si un groupe est contraint de se séparer pour