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exécuter. Il était ramené aux plus mauvais jours de son histoire, à l’époque où Louis XIV, au sortir de la guerre d’Espagne, convoitant sa marine et son commerce, se préparait à envahir son territoire et adressait à Jean de Witt d’outrageantes sommations.

Il ne pouvait se faire d’illusions ; déjà des forces imposantes se concentraient sur ses frontières, et les états-majors prussiens ne semblaient attendre qu’un prétexte pour se jeter sur les lignes de la Meuse. « Tout porte à croire que la grande attaque, écrivait-on de Francfort à M. de Moustier, sera dirigée sur nos frontières du Nord ; c’est là que serait notre partie la plus vulnérable, et c’est sur ces frontières si rapprochées de Paris qu’on entendrait, en violant la neutralité belge, frapper les coups les plus décisifs. Dans ces combinaisons déjà en voie secrète d’exécution, le Luxembourg, dont la garnison va être sensiblement augmentée, servirait de point d’appui à l’aile gauche de l’armée. Les lignes de chemins de fer parallèles qui aboutissent à la Hollande et à la Belgique permettraient de jeter rapidement des forces énormes sur le théâtre de la guerre. S’emparer des Pays-Bas et couper, dès la première heure, toute communication entre l’armée française et l’armée hollandaise, telle serait la pensée de l’état-major prussien, si j’en crois les renseignemens d’un officier supérieur autrichien. Il les appuie sur quantité d’indices qui ne peuvent échapper à l’œil exercé d’un militaire et sur des conversations qu’il a eu l’occasion d’échanger avec des officiers prussiens[1]. »

M. Baudin revint à la charge ; ce fut en vain. Il eut beau rappeler les engagemens du roi, sa lettre à l’empereur, et mettre le cabinet néerlandais en demeure de choisir entre la France et la Prusse, sa parole, si écoutée autrefois, resta sans effet. Le gouvernement hollandais avait pris son parti irrévocablement, M. de Zuylen refusait de signer, prétendant que sa majesté avait subordonné ses engagemens avec l’empereur à l’adhésion de la Prusse et se retranchait derrière la sommation du cabinet de Berlin. Il disait aussi, pour colorer son recul, qu’un traité d’alliance était superflu et inopportun, que la communauté d’intérêts entre la France et la Hollande était trop étroite pour nous permettre le moindre doute sur l’attitude que prendrait le cabinet de La Haye en cas de guerre.

  1. La confiance de l’empereur dans les dispositions de la Prusse était si absolue au début de la négociation, que le commandant Stoffel fut autorisé à venir à Paris pour prendre auprès de sa personne le service d’officier d’ordonnance. C’est en face d’une situation que je tenais pour périlleuse et en l’absence de tout attaché militaire en Allemagne pendant l’année 1867, que j’engageais une active et volumineuse correspondance avec le ministre de la guerre par l’intermédiaire du département des affaires étrangères.