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que ce droit était à plus forte raison écrit dans les constitutions républicaines qu’a eues la France.

Tout cela était exposé simplement, sans déclamations, avec une logique serrée. Vainement M. le président du conseil a essayé de se débattre sous cette pressante dialectique et de répliquer qu’après tout le parlement avait je dernier mot puisqu’il votait les subsides, puisqu’il avait toujours devant lui la responsabilité ministérielle. Ce n’était là qu’une réponse spécieuse à l’usage des gouvernemens qui se permettent tout. M. le président du conseil ne s’aperçoit pas qu’il placerait ainsi les assemblées dans l’alternative pénible de voter ce qu’elles n’approuveraient pas ou d’ouvrir une crise politique par un acte de défiance qui ne serait pas dans leur intention, et qu’en définitive, à ce compte, ce ne serait pas la peine de faire des lois, le gouvernement seul pourrait suffire, puisqu’il y aurait toujours, comme dernière ressource contre lui, la responsabilité ministérielle. — « Comment ! a pu dire avec autorité M. Ribot, dans ce pays vous ne pouvez pas créer une petite commune de trois cents âmes, vous ne pouvez pas créer un sous-préfet ni un magistrat sans la sanction législative, et vous pourriez de votre autorité couper, tailler dans l’administration publique, transporter les cultes d’un ministère à un autre, créer des ministères ! .. Non, sur toutes ces questions le parlement a le droit d’avoir une opinion. » Par un phénomène assez inattendu, dans ce duel, c’est M. Ribot qui a entraîné l’assemblée, tandis que M. Gambetta a été froidement écouté. M. le président du conseil a eu sans doute le vote dés crédits que personne ne contestait, l’avantage moral est resté à celui qui revendiquait le droit du parlement.

Ce qui a fait le succès de M. Ribot, c’est le talent sans doute, et ce qui a fait de ce succès une sorte d’événement politique, c’est que ces idées, ces revendications, cette défense des droits parlementaires répondaient visiblement à une certaine situation, à des sentimens inavoués. Évidemment ce langage allait droit à tous ceux qui, sans vouloir infliger un échec trop direct à M. le président du conseil, éprouvaient quelque satisfaction secrète à lui laisser sentir l’aiguillon, à lui faire expier les déceptions causées par son avènement au pouvoir. Il y avait dans cette scène singulière un peu d’attenté trompée, une susceptibilité parlementaire prompte à se réveiller et une vague intention d’inquiéter ou de stimuler le chef du cabinet. On ne s’en est peut-être pas rendu compte sur le moment : le discours de M. Ribot a une bien autre valeur, une bien autre signification. Ce n’est point un acte d’opposition banale contre une création de circonstance, contre des ministres, ou pour mieux dire, c’est plus qu’un acte d’opposition ordinaire ; c’est l’expression calme, ferme, mesurée d’une politique de légalité et de libéralisme misé en regard d’une politique de mesures