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A quoi M. Taine reconnaît-il la présence de cet esprit classique? A divers indices, notamment au style oratoire, régulier, correct, tout composé d’expressions générales et d’idées contiguës, à l’absence du sentiment historique, à l’appauvrissement graduel de la langue, au dédain du mot propre et technique, au goût des termes abstraits, toutes choses qui lui révèlent une conception écourtée de l’homme. On songe si peu d’ordinaire au lien intime des mots et des idées qu’on ne s’attend pas à voir le vocabulaire, la grammaire, la rhétorique fournir une explication des causes et des déceptions de la révolution, et cependant, pour tout lecteur sans parti-pris, la démonstration est incontestable. Le nouvel historien ne fait, du reste, qu’appliquer en grand au XVIIIe siècle et à la révolution le mot de Buffon : « Le style, c’est l’homme. »

L’esprit classique, ainsi défini, a un défaut originel, l’étroitesse; il est impropre à figurer la chose vivante, l’individu réel, tel qu’il existe effectivement dans la nature et dans l’histoire. Arrivé à son dernier terme, il admet implicitement que l’homme est partout le même et le fait partout parler de la même manière. A cet égard, notre théâtre du XVIIe siècle, notre tragédie surtout, avec ses caractères généraux, ses personnages plus ou moins abstraits et ses conventions uniformes, avec ses longues dissertations et son ton oratoire, annonce de loin les généralités de la philosophie du XVIIIe siècle et les abstractions des droits de l’homme. Corneille et Racine pourraient être considérés comme d’involontaires et inconsciens précurseurs de Rousseau et de Mably, et le Télémaque de Fénelon n’est pas sans parenté avec le Contrat social.

Tocqueville avait montré qu’au point de vue administratif, si ce n’est au point de vue politique, la révolution n’avait fait le plus souvent que continuer l’ancien régime, après avoir déplacé le principe d’autorité. Le nouvel émule de Tocqueville a fait plus, il a découvert qu’à remonter à leur source cachée, les procédés intellectuels de la révolution, sa manière de concevoir l’homme et l’humanité procèdent directement du XVIIe siècle, de notre grand âge classique de Louis XIV. La révolution n’a été que le dernier terme d’une longue évolution de notre histoire et de notre esprit national. Si Voltaire et Rousseau en sont les pères. Descartes, Corneille et nos grands tragiques en sont déjà les aïeux. Le moule de l’intelligence française est resté le même, l’esprit est presque identique avec des traits plus accentués par le temps et par l’âge; les idées ont seules changé avec les croyances, transformées par « l’acquis scientifique. » De Louis XIV à Robespierre, le goût de l’absolu, le goût des simplifications et des généralités persiste, et c’est ce penchant qui fait l’originalité de la révolution française. Le jour où, grâce aux découvertes scientifiques, il devait être tenté