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la façon des religions, qui procèdent, elles aussi, au nom d’un droit éternel et imprescriptible, ce qui seul leur vaut une force morale immense.

Spectacle singulier et instructif! les laborieuses constructions de la révolution, ses nombreuses constitutions politiques, échafaudées coup sur coup avec la présomption de l’inexpérience, se sont toutes écroulées. Au milieu de toutes ces destructions et ces ruines, une seule chose est demeurée debout, et c’est précisément cette base spéculative, objet de tant de dédains, ce sont ces principes de 1789, devenus comme le roc sur lequel repose toute notre société moderne. Si tout ce qu’on a élevé sur cette base a été fragile et caduc, c’est que, par sa nature même, la raison pure ne pouvait fournir que les fondations spéculatives et qu’à l’expérience, à la raison pratique revient la tâche d’y édifier un monument durable, conforme aux besoins de chaque âge et de chaque pays. Et si la raison pratique n’aboutit pas plus vite, si elle démolit si souvent son œuvre pour la recommencer à neuf, c’est qu’elle a été rendue plus exigeante par les liantes conceptions de la raison pure, qui, dans la vie des sociétés, a introduit la recherche de l’idéal et de l’absolu.

Cet idéalisme est à la fois le fort et le faible de la révolution; elle lui doit ses succès comme ses déboires. C’est à lui et à sa logique abstraite qu’elle doit cette force d’expansion, sans exemple dans l’histoire, depuis la prédication du christianisme; mais c’est à lui qu’elle doit son inhabileté à trouver sa forme définitive, son apparente inaptitude à couler ses principes dans un moule politique durable. Là est le secret de ses triomphes comme de ses avortemens. C’est parce qu’elle procède de principes généraux qu’elle résiste à ses propres désenchantemens, et c’est pour cela qu’elle a tant de peine à se concilier avec la réalité, à s’harmoniser avec les conditions de la vie. Grâce à la nature abstraite de ses principes, la révolution française a fait ce qui ne s’était pas vu avant elle, elle a trouvé au dehors un sol presque aussi préparé qu’au dedans, elle a réalisé son ambition de travailler pour tous les peuples à la fois, si bien que, malgré tous leurs défauts, ses droits de l’homme sont en quelque sorte devenus la charte de l’humanité. A cet égard, la révolution me paraît avoir raison contre son critique. Les faits sont pour elle. Un des grands griefs de M. Taine contre nos pères de 1789, c’est, nous l’avons dit, qu’au lieu de ne songer qu’à leur temps et à leur pays, ils avaient la prétention d’inaugurer dans le monde un ordre nouveau, avec des institutions ou des maximes aptes à gouverner tous les peuples, sans différence d’origine ou de latitude. C’est là, pour le philosophe de la théorie des milieux, une des hérésies scientifiques de la révolution ; peut-on nier que la révolution