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Haute-Autriche, à trois jours de Vienne. L’électeur fit son entrée solennelle dans la ville, que les autorités autrichiennes évacuèrent sans essayer de résistance.

Comme il arrive quand on est en bonne veine, les succès diplomatiques répondaient aussi vite que les progrès militaires aux espérances des alliés. On apprit tout à la fois que la diète de Suède, prenant confiance, se mettait en hostilité ouverte avec la Russie et que le roi d’Angleterre, tremblant dans le Hanovre à la seule apparition du corps d’armée du maréchal de Maillebois, expédiait à Versailles un envoyé chargé de demander grâce pour son petit état. En retour, Fleury, d’accord avec Frédéric, lui fit offrir la garantie de la neutralité du territoire hanovrien moyennant qu’il cessât de faire opposition à l’élection bavaroise : l’accommodement fut accepté. Quand cette défaillance fut connue (et elle ne tarda pas à l’être), ce fut un désarroi général parmi tous les partisans de Marie-Thérèse. Vainement George assurait-il qu’il traitait en qualité d’électeur et non pas en qualité de roi, vainement le cabinet britannique, Walpole en tête, prétendait-il ne pas même connaître une transaction qui ne regardait pas l’Angleterre, cette distinction plus nominale que réelle entre des qualités et des intérêts si étroitement unis ne trompait et ne rassurait personne. La défection d’un si puissant allié paraissait le signal de la désertion universelle[1].

On conçoit que, dans ce courant de bonnes nouvelles, Belle-Isle put célébrer la Saint-Louis, à Francfort, avec tout l’éclat d’un triomphe anticipé. Toute la ville, toute la noblesse, tous les petits princes des environs, tous les ministres étrangers se pressèrent pour venir souhaiter la bonne fête au roi de France dans les magnifiques appartemens que l’ambassade occupait et qui pouvaient loger quinze secrétaires, douze pages, cinquante laquais, quatre heiduques, quatre courriers, et plus de cent personnes attachées au service de la cuisine ou de la table. Les réjouissances durèrent plusieurs jours ; il y eut illumination dans le jardin, comédie française jouée par des acteurs de Paris; feu d’artifice et joute sur l’eau, bal et souper assis de cent quatre-vingts couverts dans une salle construite tout exprès. L’aimable maréchale, plus jeune de près de vingt ans que son mari, présidait à ces fêtes avec la dignité d’une reine. Il n’en coûta pas moins de 300,000 livres. — « Je suis effrayé de notre

  1. Le traité du roi d’Angleterre avec la France, garantissant la neutralité du Hanovre, fut signé le 27 septembre, mais les négociations commencèrent à la fin d’août et étaient connues dès cette époque. (Correspondance d’Angleterre, M. de Bussy à Amelot, 6 septembre 1741. — Correspondance de Hollande, Fénelon à Amelot. 20-26 septembre 1741. — Ministère des affaires étrangères.) Cette dernière correspondance atteste l’effet désastreux pour les amis de Marie-Thérèse produit en Hollande par la défection du roi d’Angleterre.