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étaient intraitables dans leurs recommandations de prudence, et le spectacle de turbulence qu’ils avaient sous les yeux semblait leur donner raison. La reine comprit, au contraire, quel parti elle pourrait tirer de cette susceptibilité nationale pour rétablir l’affection ébranlée des populations, par un grand acte de confiance que justifiait l’excès même de son malheur. Des lois anciennes prévoyaient le cas où, dans un extrême péril, tous les hommes valides devaient se lever en armes pour courir à la défense de la patrie. Cette levée en masse portait le nom d’insurrection, suivant une expression latine, beaucoup moins détournée de son sens naturel que l’acception que nous lui donnons en français. Au risque de faire pâmer de surprise et pâlir de terreur ses conseillers, ce fut à cette ressource suprême que la reine résolut de faire appel.

Elle fit d’abord part de son dessein à quelques confidens choisis, réunis en comité secret : tous les Allemands le combattirent avec effroi, ce qui à soi seul était une raison pour que les Hongrois l’acceptassent avec enthousiasme. Ceux-ci seulement émirent en même temps l’avis que la reine se retirât avec l’héritier du trône dans la ville forte de Raab, éloignée de la frontière, et où ces personnes sacrées seraient en sûreté sous la garde de l’affection populaire. La princesse accepta leur promesse de concours, mais ajourna l’exécution du conseil. Il ne lui convenait ni d’aller s’enterrer dans une citadelle, ni peut-être de pousser jusqu’à ce point la confiance[1].

Le lendemain, le palatin, qui était dans le secret, réunit à sa table, dans un grand banquet, les membres des deux assemblées. Leur nombre, bien que considérable, était loin d’être complet, car les plus mutins ou les plus indifférens étaient partis après la lecture si mal accueillie du message royal, soit dans un accès de dépit, soit peut-être pour se préparer à la résistance; il ne restait que les plus attachés à la royauté, ceux à qui il coûtait le plus d’entrer en lutte avec elle. Quand le bruit se répandit après boire et du désir de la reine et de l’opposition des Allemands, ce fut un transport de joie et d’espérances : « Qu’elle suive son cœur, s’écriait-on ; il la conseillera mieux que ses ministres. »

Effectivement, le 11 septembre, les deux chambres recevaient l’avis d’avoir à se transporter, leurs présidons en tête, dans la grande salle du château, à onze heures avant midi. Tous se rendirent à l’appel ou, pour mieux dire, se précipitèrent dans un état d’excitation et d’attente. Quand la réunion fut complète, la reine entra, traversa d’un pas lent les rangs des députés et monta majestueusement les marches du trône, fille était vêtue de noir, sans autre ornement que la couronne sur sa tête et l’épée à son côté; ses traits portaient

  1. D’Arneth, p. 297 et 404.