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Page:Revue des Deux Mondes - 1882 - tome 49.djvu/307

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ne trouva qu’un conseil de guerre réuni à Nauplie pour le juger. Il présenta lui-même sa défense et fut acquitté; mais la diplomatie autrichienne intervint, et il fut mis en retrait d’emploi. Il avait des loisirs dont il enrageait, et en profitait pour écrire ses mémoires. Il était de tenue correcte, toujours boutonné dans son habit noir, et avait une pétulance qui n’enlevait rien à ses façons accortes. Non-seulement nous prenions plaisir à l’entendre raconter ses aventures, mais nous l’interrogions souvent, car il avait été l’ami de lord Byron, près duquel il avait combattu à Missolonghi. Il avait eu entre ses mains la correspondance de Byron et de la Guiccioli. Celle-ci répondait toujours sur la lettre même de celui-là, écrivant entre les lignes noires avec de l’encre rouge ; elle employait la langue italienne, il employait la langue anglaise. Morandi nous disait : « C’était une frénésie d’amour qui touchait à la démence ; » il était persuadé que cette liaison avait été un accès de platonisme exalté et rien de plus. Il appuyait son opinion sur le passage d’une lettre qui, pour lui du moins, ne laissait subsister aucun doute à cet égard. La Guiccioli écrivait : « Comment faut-il te prouver mon amour ? » Byron répondit : « En ne m’accordant jamais ce que ma folie, ce que ma fureur te demande sans cesse, afin que notre amour reste éternellement beau et au-dessus de l’humanité. » Dans je ne sais quelle échauffourée, Morandi, traqué par les Autrichiens, abandonna ces lettres à Ancône; il ne les a jamais retrouvées. Byron marchait très lentement, pour dissimuler la légère claudication dont il était atteint et qui l’humiliait; il mangeait peu, afin d’éviter l’embonpoint, qu’il redoutait par-dessus tout. Sur un point, le général Morandi et le colonel Touret étaient absolus et n’admettaient aucune contradiction : ils rejetaient avec indignation, comme une calomnie inventée par l’aristocratie anglaise, tout ce qui a été dit sur les mœurs que Byron aurait adoptées en Orient. Morandi disait : « Je l’ai connu, je certifie que c’est faux. » Le colonel Touret ajoutait : « Jamais, en Grèce, je n’y ai entendu faire même une allusion. » A Missolonghi, où il mourut, Byron avait organisé à ses frais une compagnie de pionniers d’artillerie ; souvent il la passait en revue et la faisait manœuvrer. Dans ces occasions, il aimait à porter le costume des héros d’Homère : le casque avec la haute crinière rouge, la cuirasse à mailles, les cnémides en métal, le glaive court battant sur la cuisse nue; il était admirable ainsi, disait Morandi, il ressemblait à Achille. — Quelquefois, il était vêtu en Pallikare, avec le yatagan et les pistolets à crosse de vermeil passés dans la ceinture. D’après Morandi et le colonel Touret, il a rendu de grands services à la cause de l’indépendance. « Sa mort, nous disaient-ils, a été un deuil et un désastre pour les Grecs, qui l’adoraient. »

Nous ne vivions pas seulement sur les souvenirs de la guerre que